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Chanson française et politiques publiques

 


 

 

CHANSON FRANCAISE ET POLITIQUES PUBLIQUES
Renouveau artistique et action culturelle

Vendredi 4 juin – Le Champ de Foire – Saint-André-de-Cubzac
Médiation et synthèse : Yves Raibaud

Une journée est consacrée à la chanson française dans la salle de spectacle neuve de Saint-André-de-Cubzac, commune du milieu rural girondin. Les intermittents, bons enfants,  suivent le jeu ouvert avec humour par Jacques Maugein, maire de la ville et conseiller général, en démontrant en direct les capacités de ce bel outil tout neuf consacré à la culture : ici, on prend la culture au sérieux. Et la chanson française ? Lui consacrer une partie de la programmation annuelle du centre culturel, comme accueillir les rencontres de l’Iddac montre qu’elle est ici qualifiée comme un bien culturel précieux, au moins autant que d’autres catégories de spectacles vivants. Peut-être y-a-t-il également une part de calcul, à deux niveaux : en premier lieu Saint-André-de-Cubzac prend une option départementale en se spécialisant dans un créneau artistique, en second lieu la chanson est un art consensuel, intergénérationnel, populaire qui risque moins de prendre à contre-pied le public local que la danse contemporaine ou la musique baroque par exemple… L’initiative de Saint-André-de-Cubzac représente ainsi le point de départ et la synthèse de cette journée sur la chanson. 

Histoires… 

André Cayot, conseiller et responsable du pôle musiques actuelles au ministère de la culture et de la communication, raconte son histoire et celle de la chanson dans les vingt dernières années : « Je faisais le métier de chanteur… » entre cabarets, scènes de MJC, premières partie de vedettes. Arrive 1981, et la révolution Lang : « toutes les musiques et toutes les danses » ont droit de cité et peuvent espérer une reconnaissance institutionnelle. Après un certain nombre de discussion sur les termes (musiques d’aujourd’hui, musiques populaires) le terme musiques actuelles sera choisi pour intégrer le rock (les musiques amplifiées), en même temps que s’éloigne la reconnaissance de la chanson comme catégorie esthétique à part entière. La face « marchande » de la chanson française représentée par ses vedettes et le chiffre d’affaires de l’industrie du disque et des mass-médias nuit déjà à son image culturelle. Après l’échec d’éphémères « centres de la chanson » dans les années 1980, on préférera aider la chanson comme industrie en développant un fonds de soutien à la création financé par des taxes parafiscales sur l’activité qu’elle génère. D’autres initiatives sont prises pour aider la création (et donc participer à son développement comme industrie culturelle) par la formation des artistes, mais peut-on former au génie, à la créativité ? Aujourd’hui, le problème numéro un, c’est la crise de la production du disque et la concurrence des supports dématérialisés qui désorganise totalement le marché. Cette priorité écarte encore un peu plus l’Etat de toute velléité de définir des choix esthétiques, hormis quelques règles protectionnistes pour la chanson française et la chanson francophone et l’aide à l’industrie du disque, aujourd’hui sinistrée.

Eric Lareine, auteur-interprète, raconte à son tour son histoire : chanteur dans un groupe rock à Toulouse, les bars musicaux, la première aide publique… La rupture du groupe : le chanteur frais éclos du collectif ose s’appeler Eric Lareine… La montée à Paris : le Tourtour (bar parisien), le réseau Orchidée, la rencontre avec Jean-Louis Foulquier, les Francofolies… La réussite commerciale est toujours précaire, le chanteur cherche un compromis qui tourne vinaigre : le chanteur mis en scène pour être compatible avec la production subventionnée des centres culturels se sent broyé, formaté, dépossédé de sa création. Au total il n’est pas si bon et de plus il est devenu cher, donc c’est l’impasse.

Petite mort, sauvée par le jazz : le chanteur apprend dans une école à jouer trois quarts d’heure sans préparer… Rencontre des musiques populaires et des musiques savantes…Humilité des artistes… Redécouverte du plaisir « le jazz t’es pas obligé de mourir pour faire de la tune »… Cette renaissance est portée par l’innovation technologique : les spectacles du chanteur seront de plus en plus improvisés, on mise sur la diffusion sur le net et dans les petites salles.  

Comment aider les auteurs-compositeurs ?  

Philippe Albaret, directeur du COACH, (conseil et accompagnement des chanteurs et des groupes), se consacre au perfectionnement professionnel et artistique des groupes. Il est aidé pour cela par l’interprofession (Adami, Sacem, Spedidam). Il s’agit d’aider les artistes dans tous les registres de la profession : formation artistique, scénique, commerciale, administrative etc. Certes le spectacle vivant ne représente que 10% du chiffre d’affaires de la chanson française, mais il est la clé du succès. Philippe Albarret complète ce qui a été dit par deux idées fortes : les artistes ont moins besoin de formation que de coaching, ce qui leur permet de gagner du temps et de respecter leur créativité ; les producteurs « sérieux » sont rares et en difficulté, les artistes ne peuvent plus éviter la scène qui est le moyen de se faire connaître et doivent développer leurs capacités d’autoproduction en maîtrisant les technologies de l’information et de la communication.

François Chesnais, directeur du Fonds pour la Création Musicale (FCM) se positionne sous l’angle du financement de la chanson française : la chanson est un art populaire, donc une industrie dont les vedettes sont souvent représentées comme symboles d’une réussite commerciale.. Pourquoi l’Etat irait-il subventionner des chanteurs qui gagnent beaucoup d’argent ? François Chesnais remarque que la question se pose moins quand il s’agit de comédiens ou de danseurs. Dans le processus de reconnaissance de la chanson française (comme patrimoine, comme catégorie éligible au budget des affaires culturelles), il faudrait ajouter à une possible gratification matérielle une gratification symbolique. Pour cela, l’Etat et les collectivités doivent participer à l’émulation artistique des artistes en aidant des événements et des manifestations destinées à faire connaître de jeunes créateurs, à aider à l’émergence de formes et de discours innovants. Mais dans cette entreprise, les chanteurs apparaissent bien isolés par rapport à d’autres professions artistiques.

La salle intervient : où sont les fonds ? Où est l’argent ? Qui sélectionne, et selon quels critères ? André Cayot, puis François Chesnais évoquent la forte poussée de la base qui multiplie les sollicitations… Les chanteurs sont dans des situations de précarité qu’aggrave la crise du régime des intermittents du spectacle; les institutions sont interpellées, mais les moyens ne suivent pas. François Chesnais interpelle André Cayot «  André, c’est vrai que tu es isolé au sein de la Direction de la Musique et de la Danse ». Dénégation molle d’André Cayot : les musiques actuelles n’ont pas encore la légitimité d’autres catégories artistiques dans les politiques publiques.

L’intervention de Serge Poezvara, délégué à la musique des radios « France Bleu » renforce ce sentiment d’abandon que peuvent ressentir les chanteurs. La programmation commune des 43 radios du réseau de service public permet de diffuser 250 à 300 titres chaque jour répondant aux exigences du segment de clientèle visé, aux cahier des charges imposé par le ministère (chanson francophone), le tout évalué chaque jour par l’Audimat.  L’offre doit captiver le public, sans oublier qu’elle est également l’objet d’un compromis local de chacune des radios. La salle réagit très vivement : « aucun risque n’est pris, c’est toujours les mêmes chanteurs, vous utilisez des logiciels de programmation qui standardisent l’offre… Serge Poezva ra retourne l’agression de la salle en faisant l’état des pressions constantes et même parfois « violentes » auquel il est soumis de la part des chargé(e)s de production des artistes et des maisons de disques : « on est détesté, c’est une lutte de tous les instants, je reçois 50 à 100 maquettes par mois, nous sommes obligé de choisir ». 

Synthèse du matin : l’histoire récente (20 dernières années) des rapports entre politiques publiques et chanson, est résumée par André Cayot. La chanson est-elle à ce jour une catégorie éligible par les politiques publiques de la culture ? Oui, en partie, mais il faudra cerner l’évolution qui a conduit à l’assimiler dans le courant des musiques actuelles, et tous les compromis que cela comporte. Eric Lareine, donne sa version de cette même histoire : d’abord chanteur dans un groupe de rock, il s’en extrait pour donner plus de liberté à ses textes et assumer son « ego ». Des petites salles il transite par un secteur « meso-institutionnel » (salles subventionnées, festivals) puis tente le glissement vers le spectacle musical mis en scène. C’est pour lui un échec personnel : le chanteur n’y est pas à sa place et il faudra le détour par des cours d’improvisation jazz pour qu’il retrouve l’estime de lui-même et son statut de chanteur. En cela les écoles et autres lieux de formation peuvent être un bon support, à condition qu’elles soient réellement au service du projet artistique (donc individuel) du chanteur). L’aide à la création permet à l’Etat de prendre pied sur un secteur porteur de revendications : un très grand nombre d’artistes sont précaires mais ils s’appuient sur une industrie d’un volume non-négligeable et une production symbolique affirmant la place de la France dans la production culturelle mondiale, et notamment dans l’espace francophone. Le problème est que dès qu’on met une aide en place, il faut élaborer des règles pour l’obtenir, ce qui fonde à la fois un processus d’évaluation, la nécessité de recourir à une expertise et (en retour) la critique de la légitimité des experts. Le malaise peut aller jusqu’à s’exprimer en terme de conflits de générations, ce qui est le cas quand les experts sont des anciens artistes reclassés dans la gestion institutionnelle du secteur dont ils sont issus. La distinction entre ceux qui sont aidés et ceux qui ne le sont pas crée la catégorie esthétique, mais peut être gérée en renvoyant les artistes à leur responsabilité et en leur proposant de la formation. Mais peut-on former un artiste qui fonde sa légitimité sur sa qualité individuelle et l’autodidaxie ? L’offre de formation (de la formation musicale stricto sensu au coaching) n’est-elle pas une manière de faire payer le prix aux artistes de leurs difficultés face aux critères de sélection de l’aide publique ?  Proposer « l’autoproduction » comme solution à la crise économique du secteur et aux limites de l’aide publique, n’est-ce pas aussi un moyen de détourner la revendication des artistes ? Une autre ouverture, sujet des débats de l’après-midi, consiste à envisager le soutien des jeunes auteurs-compositeurs interprètes à travers une politique d’animation du territoire.

Jean-Claude Marchet est directeur d’une structure dans la région centre (Berry), « les Bains-Douches ». Le lieu a fonctionné pendant dix ans avec des bénévoles, en autofinancement. Avec à présent 120 jours « plateaux » par an et deux festivals, les « Bains-Douches » sont à présent reconnus comme un lieu culturel ressource pour la chanson française et les musiques actuelles. L’institutionnalisation du lieu, c’est aussi sa normalisation. L’entrée en scène de la DRAC conditionne celle des autres collectivités locales autour d’un projet éligible aux différents programme des collectivités : soutien aux musiques actuelles, programmation régulière, festivals d’été pour le développement local, résidences de jeunes artistes, classes à PAC etc.  

Pierre-Marie Boccard, délégué général des « Nuits de Champagne » présente une autre action décentralisée. Le concept général des « Nuits de Champagne » repose sur la mise en relation des auteurs-compositeurs et du public à partir des ateliers de chant choral d’abord, puis de rencontres avec les auteurs et les compositeurs pour pénétrer leur univers, enfin par la mise en place d’ateliers d’écriture pour les jeunes auteurs-compositeurs. Le garnd chœur final rassemblant 900 choristes autour d’un chanteur (Aznavour, Souchon, Nougaro, Renaud) illustre la rencontre entre les amateurs et les professionnels (hommage du peuple aux chanteurs) et tend à démontrer qu’il existe une continuité des pratiques. La présence de jeunes auteurs-compositeurs-interprètes en première partie des concerts participe à la vision de cette célébration unanimiste de la chanson française. C’est une conception de la chanson qui ne doit rien au mouvement des musiques actuelles. 

Bruno Boutleux, des JMF, est un ancien animateur des musiques actuelles reclassé dans la démocratisation musicale (entrisme ?) Les JMF se consacraient essentiellement à la diffusion de la musique classique dans les milieux scolaires avec l’aide d’un encore très actif résezu d’enseignants retraités (en majorité des instituteurs. Les JMF défendent l’idée de l’excellence pour tous (Malraux) mais sur une optique d’éducation populaire s’appuyant sur les lieux de socialisation et d’apprentissage des enfants. Il s’agit de moderniser et de renouveler ce réseau : un ancien militant des musiques actuelles (permanent de l’IRMA) montre que la coupure entre action culturelle et éducation populaire a déjà été traitée dans son secteur : il n’y a pas de discontinuité entre les JMF et les Musiques Actuelles sous cet angle. Pour Bruno Boutleux, il s’agit de renouere avec le populaire, de travailler sur la proximité, et la cahnson française est un excellent média pour cela. On élimine en partie la question esthétique, on lui préfère la notion de diversité culturelle. Ce positionnement peut s’appuyer, à l’évidence, sur une réflexion sur le statut des artistes et sur le rôle de ceux-ci dans le développement local (leçon tirée de l’annulation des festivals) 

Georges Mazure, directeur du festival « Alors… Chante : » de Montauban (25 000 spectateurs, 1 million d’euros) raconte comment sa petite association programmatrice de spectacle s’est professionnalisée avec la montée en puissance du festival qui a généré par la suite (institutionnalisation) d’autres fonctions : programmation du théâtre municipal, mise en place de résidences, organisation d’un concours, ouverture vers d’autres « milieux » (milieu rural, carcéral, scolaire), contarts éducatifs locaux… Jacques Rozé, élu d’une petite ville du Tarn-et-Garonne, témoigne des actions de dévcentralisation menées avec « Alors…chante !: concerts à la ferme, résidences, etc…. artistes, nouveaux entrepreneurs du monde rural.       

 

Les Bains-Douches sont depuis 2001 devenus théâtre missionné pour le développement de la chanson , en lien avec une quarantaine de structures de la région. (Professionnalisation, institutionnalisation, musiques actuelles et développement rural = les nouveaux entrepreneurs, coproduction économique et coproduction du goût

 

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