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Séminaire du 1er mars 2006

 


 

 

Synthèse du séminaire
du 1er mars 2006 à Saint-Germain-la-Rivière

Yves Raibaud, maître de conférences, IUT Michel de Montaigne Bordeaux

Introduction générale

L’initiative du séminaire revient à Olivier Desagnat, président de l’Office Fronsadais des Arts et de la Culture (OFAC), suite aux ateliers de réflexion mis en place par le Pays du Libournais1. Le Pays, territoire de projet, suscite ainsi l’initiative et fait émerger de nouveaux acteurs qui interpellent les communautés de communes. On retrouve autour de la table ces deux modes de la décentralisation. La première s’appuie sur les « forces vives » (les Pays, loi Voynet) et procède par ajustement souvent sous la pression des intérêts particuliers ou de groupes constitués. La seconde décentralise l’Etat vers les Conseils généraux, puis (loi Chevènement) les intercommunalités en s’appuyant sur l’homogénéité d’une classe politique proche de la fonction publique aux différentes échelles territoriales, qu’elle en soit issue ou qu’elle y ait été intégrée a posteriori. L’aventure du séminaire débute dans ce contexte de la façon la plus positive qui soit : Michel Frouin, maire de Lugon, président de la communauté de commune et vice-président du Conseil Général de la Gironde institue l’initiative de l’OFAC, confortée par la présence de Serge Morin, président du Pays du Libournais et de nombreux élus. L’Iddac représenté par Myriam Brun Cavanié affirme la présence bienveillante du Conseil Général de la Gironde et précise qu’il ne s’agit pas de proposer de modèle mais une méthodologie : pour mettre en place une action culturelle commune, il faut penser la culture comme un objet à construire par les acteurs du Pays eux-mêmes.

Dans cette configuration apaisante, le débat sur « quelle culture pour le Fronsadais ? » peut alors démarrer dès les premiers mots d’accueil. Pour Michel Frouin, la culture est une « base de savoirs » qui doit être partagée par petits et grands et qui permet de « créer, apprendre et changer », de « dépasser les nostalgies » pour répondre aux défis du monde moderne. Pour Olivier Desagnat, l’urgence est de tisser et retisser des liens détruits dans une société « individualiste et marchande ». L’arrivée de nouvelles populations urbaines en Fronsadais pose le problème de leur intégration à la vie locale, l’urbanisme doit être maîtrisé pour conserver une qualité de vie. On pourrait voir sur ces quelques mots l’opposition de deux représentations de la culture sur les territoires. Il reflète d’emblée le processus démocratique qui sera illustré par les nombreuses interventions des représentants du Fronsadais au cours de la journée

François Lajuzan, directeur des affaires culturelles de la mairie de Tournefeuille (31) a été sollicité pour animer cette journée. En présentant succinctement l’action menée sur Tournefeuille, il montre comment l’élue à la culture et lui-même ont « désinstallé » une programmation culturelle standard (centre culturel, école de musique, animateurs scolaires…) pour en faire un projet global incluant l’action sociale et socioculturelle, le développement économique, l’aide à la création artistique. Cette présentation d'un exemple urbain pose néanmoins les fondamentaux du développement culturel : -Une volonté politique -Le souci d'un lien fort entre l'art et les habitants -Une structuration professionnelle -Des actions en transversalité avec les milieux éducatifs et sociaux

La rénovation de la politique culturelle et son développement (Tournefeuille bénéficie d’une grande notoriété sur ce plan dans l’agglomération de Toulouse) sont facilités par le partenariat avec les acteurs indépendants de la ville ou de l’agglomération, associations, compagnies, artistes, entreprises culturelles telles que l’Utopia... Le débat s’ouvre instantanément sur les rapports ville/campagne : les moyens financiers et logistiques de Tournefeuille ne sont pas comparables avec ceux que l’on peut trouver dans le Fronsadais ! Une autre idée apparaît en suivant, qui fait consensus : le rural n’est pas seulement un lieu qui manque de moyens, c’est aussi une autre entrée culturelle. Ne faut-il pas faire le lien entre identité locale, environnement, qualité de vie, patrimoine et développement économique local ? Les trois exemples d’animation culturelle du territoire qui vont être exposés dans la journée suivent le chemin tracé par ces propos et cette discussion préliminaire.

1 Dans ce texte, le masculin est utilisé comme représentant des deux sexes sans discrimination à l’égard des femmes et des hommes et à seule fin d’alléger le texte.

La communauté de communes du Fumélois Lémance
Le récit de Jacques Faux, président de la communauté de communes du Fumélois commence par la géographie et l’histoire de la région. Cependant, il serait plus exact de dire « une géographie » et « une histoire ». Le Lot (l’eau) et le Périgord (la forêt) sont évoqués comme deux éléments dont la rencontre produit l’industrie, qui elle-même produit l’histoire du bassin fumélois, ce qui amène au centre du récit : la crise économique des années 80. Le propos des élus s’inscrit donc d’emblée en référence à cette histoire récente. L’intercommunalité est racontée comme une nécessité de gérer la sortie de la crise, la culture arrivant en second temps comme un des moyens d’en sortir « la tête haute », de communiquer une image positive du pays à l’intérieur comme à l’extérieur. Le projet culturel du Fumélois, établi en 1996 en concertation avec la DRAC Aquitaine et l’Office Départemental du Lot-et-Garonne a pu se bâtir parce que beaucoup d’élus de l’époque étaient à l’écoute du fait culturel, déjà sensibilisés, soit par leur implication dans l’action populaire (FOL), soit en tant qu’enseignants dans l’éducation nationale.

Une autre histoire se lit en filigrane de la première. L’esprit communautaire n’existe pas encore, il y a des rivalités entre communes. Le modus vivendi exige une certaine neutralité. Cette neutralisation de l’intercommunalité se retrouve dans une démarche qui n’intègre dans le pot commun que ce qui ne fâche pas. La création d’une politique culturelle commune se construit ainsi « dans les failles de l’existant », mais aussi dans la temporalité des actions : l’accent est mis sur la période scolaire pour ne pas surcharger une période estivale très riche en événements liés au tourisme. La réalité de l’intercommunalité culturelle se traduit néanmoins par le vote d’un budget propre et l’embauche d’un agent de développement en charge de la culture. Un autre aspect de cette réalité, qui procède à la fois de la modestie des moyens et d’une démarche démocratique, consiste à travailler avec toutes les associations dans le cadre d’une charte culturelle, à la fois guide et outil d’évaluation des actions.

Pascal Bagnara, agent de développement culturel, est issu du monde associatif de Fumel à l’époque où le « Rock à Fumel » s’était taillé une réputation régionale et nationale. Il complète le propos de Jacques Faux par une approche pragmatique de l’action culturelle opposant diffusion et action culturelle : il s’agit avant tout de travailler de façon la plus décentralisée possible en privilégiant les petites formes adaptables aux demandes des écoles, des associations, des petites communes, des exploitations agricoles etc. pour pouvoir de temps à autre mobiliser la population vers quelques événements phares. Un des potentiels du Fumélois, c’est la présence sur son territoire d’associations dynamiques volontaristes, d’une ZEP qui aide à structurer les relations avec les établissements scolaires et une population issue des différentes vagues d’immigration. Très peu d’artistes habitent sur le territoire, ils viennent... La Cie Humaine s’y est installée après deux ans de résidence ateliers, d’autres sont des voisins ou viennent de loin dans le cadre de résidence temporaire. L’attraction que représente un territoire rural à forte identité patrimoniale pour les artistes est également une opportunité pour offrir sur un marché national de la « résidence d’artiste » un accueil de qualité. Le rapport « qualité-prix » de ce type de transaction est sans commune mesure avec le coût d’achat d’un spectacle ou d’installation d’une exposition. Les commanditaires (ici la communauté de communes) s’y retrouvent mieux car ils peuvent adapter le contenu des interventions avec les artistes : l’objectif est également de favoriser la rencontre entre artiste et nouveaux publics en favorisant du lien social. La médiation culturelle est fondamentale pour le développement des publics.

La discussion porte d’abord sur la charte : n’est-elle pas plus souple qu’une compétence culturelle ? Négociée et négociable ne représente-t-elle pas une entrée idéale pour le mouvement associatif ? Jacques Faux approuve, tout en rappelant qu’elle est d’abord la marque d’une intercommunalité « par défaut » et non d’une volonté politique forte : celle-ci n’existe pas. Cette remarque convient aux élus présents : « Fumel nous ressemble » déclare une maire du canton. Il faut partir des ressources locales et construire progressivement le projet culturel. Ainsi pensé, le projet culturel est également un facteur de développement des ressources locales. Pascal Bagnara cite l’exemple d’artistes professionnels : La Cie Humaine qui s’est installée en Fumélois-Lémance il y a deux ans s’implique sur le territoire en cumulant des actions de type purement artistique (rodage de spectacle en création dans les petites communes pour aller à la rencontre des non-publics du centre culturel. Diffusion de la grosse forme : « La Luna Négra » -primée au niveau national -dans la grande salle. Plusieurs novices, ravis de cette première rencontre avec le spectacle dans leur commune, ont réservé des places pour la grosse forme, donnée quelques semaines après, à l’issue de la petite forme décentralisée), un travail pédagogique avec les écoles et lycées qui rejoignent d’autres manifestations qui servent la promotion du territoire et d’acteurs économiques (diffusion des créations des lycéens dans le cadre des journée de Ferme en Ferme pilotées par la Chambre d’Agriculture) l’objectif étant toujours l’irrigation du territoire sur des communes où il n’y a pas de lieux de diffusion et la mise en place d’actions de médiation. Il sera entrepris l’an prochain un chantier d’écriture en interaction avec les anciens du territoire (via le club des aînés ruraux, point lecture et autres associations) autour des « premières fois et des rites de passages ». Ces paroles ou écrits alimenteront une création professionnelle à dimension universelle, destinée à tourner au niveau national, mais il sera envisagé l’organisation d’étapes intermédiaires de restitution auprès des populations sous forme de lectures théâtralisées présentées dans le cadre de « veillées » ouvertes (spectacle discussion).

Le Pays du Val d’Adour
La deuxième expérience est présentée par Marie Creunier, chargée de mission pour mettre en œuvre le projet culturel du territoire du Pays de Val d’Adour. Même si les thématiques sont proches de l’intervention précédente, on entre dans une nouvelle configuration. Ce Pays est encore différent, à cheval sur deux régions (Aquitaine, Midi-Pyrénées), sur trois départements (Gers, Hautes-Pyrénées, Pyrénées-Atlantiques) et frontalier de l’Espagne. 51 000 habitants sont répartis sur 202 communes, le Pays ne compte pas de ville centre, mais trois villes attractives en périphérie : Auch (32), Tarbes (64), Aire-sur-l’Adour (40).

Le Pays du Val d’Adour est un pari mené par un ancien ministre (Jean Glavany, maire de Maubourguet) sur la cohésion d’un ensemble rural « homogène » et en pleine reconversion. L’autre particularité est le choix qui a été fait de déléguer à une société d’économie mixte de projet, l’agence Semadour, l’animation et l’assistance technique pour le contrat de Pays du Val d’Adour. La neutralité de l’agence se manifeste par une phase de diagnostic (qui fait le point sur les potentialités du territoire et préconise des axes de développement dans une conception très large du champ culturel), par la création d’un poste de chargé de mission culture et par la confection d’un budget (collectivités territoriales, Etat, Europe) de 76 400 € par an pendant trois ans. Le Pays ne s’est pas imposé comme programmateur, il aide les initiatives locales portées par les élus et met en place progressivement les conditions d’un arbitrage.

Cette démarche est analysée avec finesse par Marie Creunier à partir de deux points de vue. Le premier est celui de la technicienne qui décrit de façon vivante la navette entre tous les partenaires jusqu’à la création du compromis : recevoir les associations d’un côté pour construire l’offre, travailler avec les élus de l’autre à l’expression de la commande politique, s’informer auprès des réseaux institutionnels de la culture (DRAC, Régions, Départements)2 des limites fixées à l’éligibilité des projets… L’autre point de vue, plus institutionnel, présente la construction progressive des critères de qualification et des instances qui les attribuent. Une commission culture est créée pour traduire les volontés politiques en critères d’intervention aboutissant à des stratégies. La subordination aux financements importants et croisés des partenaires (Europe, Etat, départements, régions) est peu à peu acceptée, les critères implicites imposés par les « bons usages » culturels sont intériorisés par les membres de la commission. Dans ce cadre, la « bonne volonté culturelle» des élus est cependant prudente. Il ne s’agit pas de recréer une politique culturelle mais de compléter l’offre existante par des actions décentralisées maillant le territoire et valorisant sa richesse patrimoniale : églises romanes, bistros de pays, arènes. On n’aide donc pas davantage l’important festival de Marciac, même si celui-ci doit se transformer en pôle culturel et peut servir de locomotive au Pays, mais on poursuit prioritairement l’utopie que représenterait une identité culturelle de Pays. La charte qui résulte du travail de la commission produit à la fois de l’insatisfaction (tous les acteurs associatifs ne seront pas intégrés dans la démarche de Pays) mais aussi de la professionnalisation pour ceux qui passeront des conventions pluriannuelles et pourront ainsi pérenniser leurs actions. En organisant des formations pour ces acteurs associatifs, l’agence participe de plus à la structuration et à la consolidation d’un réseau culturel autonome local et des emplois qui l’accompagnent. Tout ceci est fragile, d’où l’importance de la communication qui met en valeur le travail réalisé et mobilise les « forces vives » du Pays.

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Ce qui n’est pas simple si l’on considère qu’outre l’Europe (programme Leader) et l’Etat (DRAC) qui n’interviennent pas sur les mêmes critères, chaque département et chaque Région a sa politique. Ainsi la Région Aquitaine intervient-elle sur des lignes de budget consacrées au développement territorial et la Région Midi-Pyrénées sur le budget culture etc.

Débat sur les Festivals
Un débat vif s’engage sur les festivals : le festival de jazz de Marciac est-il un « plus » pour le Pays ? Les communes du Pays en ont un peu peur : le jazz, c’est 15 jours par an sur une seule des 202 communes, il ne faudrait pas que le projet de centre culturel de Marciac (salle de spectacle, studios d’enregistrements) mobilise la totalité des ressources consacrées à la culture par le Pays, surtout si les autres partenaires venaient un jour à se désengager ! Jacques Faux donne son point de vue sur les festivals : le danger des festivals c’est qu’ils peuvent contourner les logiques de construction territoriale en monopolisant toutes les subventions locales, départementales et régionales. Les Festivals peuvent être peu structurants pour les populations du territoire. Olivier Desagnat interpelle Dominique Beyly, responsable du festival des Arts de la Rue de Libourne : qu’en est-il du succès grandissant de Fest’Arts pour le Pays de Libourne ? Dominique Beyly admet s’inquiéter de l’avenir du festival. Il ne faudrait pas qu’il soit débordé par l’arrivée d’un public chaque année plus nombreux. La comparaison avec Marciac et Bonaguil s’arrête là car il est légitime pour Libourne, ville centre de 20 000 habitants, d’avoir un événement annuel de cette importance. Mais il y a aussi une différence notable qui pourrait bien résoudre les contradictions que connaissent Marciac et le Pays du Val d’Adour : les Arts de la Rue sont par définition mobiles, majoritairement constitués de « petites formes » qui ne nécessitent pas d’infrastructures ni de salles. Ils sont donc tout à fait adaptés à une programmation décentralisée et ouverte au partenariat avec les associations, les petites communes, les écoles.

La commune d’Excideuil en Dordogne
La troisième intervention est consacrée à la présentation d’une action culturelle portant sur l’aménagement des espaces publics du territoire communal d’Excideuil (Dordogne, 1500 habitants). Arnaud Le Guay, qui n’est pas originaire de la commune, a été élu maire en 1995. Il décrit avec humour son installation de « jeune maire élu à la faveur d’une lutte de clans » dans un canton rural et conservateur, où les maires sont pour la plupart des hommes retraités ayant un rapport à l’immobilier local. Que faire dans ce contexte ? Son mandat commence par un diagnostic portant en particulier sur le logement dans la commune et le patrimoine communal. La commune, même enclavée, est attractive pour des familles travaillant à Périgueux qui ont choisi d’habiter en milieu rural. Elle accueille également comme toutes les communes de Dordogne une population anglaise et du Nord de l’Europe mi-saisonnière, mi-sédentaire. Le développement d’une activité culturelle en partenariat avec les quelques associations locales et les réseaux départementaux (ciné-passion, opération Voix de l’Hiver, ADDC) aboutit à la création d’un emploi culturel et à la construction d’une salle de spectacle de 200 places équipée qui connaît un bon succès (6000 spectateurs par an !). Mais cette politique – dit le maire – est menée dans la solitude : les communes voisines refusent de s’associer à une quelconque action intercommunale, ce qui fait du canton d’Excideuil un des rares cantons de Dordogne sans intercommunalité. Le conseil municipal est partagé entre droite et gauche, les décisions sont prises aux réunions de groupe, ce qui limite le débat démocratique. C’est dans ce contexte que le maire rencontre, par l’intermédiaire de la DRAC Aquitaine, la Fondation de France qui lui propose de cofinancer un programme nommé « Les nouveaux commanditaires », concept inventé par un artiste, François Hers.

Il s’agit de permettre à des groupes d’habitants d’être à l’origine de la commande d’œuvres d’art. Sur des lieux choisis de la commune, six groupes de travail sont constitués, chaque groupe exprime des souhaits. Un architecte Luc Joudinaud, et un urbaniste, Pierre Marsaa (médiateur à la Fondation de France) sont délégués pour faire la médiation. Ils aident les habitants à formuler leur demande, à trouver l’artiste qui peut les aider, à réunir le budget et à organiser la réalisation de l’œuvre. Après des heures de réunions passionnées, de promenades sur les sites, d’ébauches de dessin, le groupe élabore son projet : une passerelle sur la petite rivière qui longe le bourg, des bancs publics sur lesquels sont écrits la mémoire des quartiers (devenus « bancs à poèmes »), la réalisation de sculptures à l’entrée de grottes aménagées, un abri pour les chasseurs et les randonneurs, un reportage photographique, un Moulin à images… La plupart des projets sont réalisés, certains seront abandonnés, mais l’expérience est marquante, on en parle, on constate avec bonheur que les aménagements fonctionnent (la passerelle, les bancs). Les habitants s’approprient les créations (exemple du reportage photographique qui est vendu chez les commerçants et utilisé pour leurs affiches par le club de rugby et le comité des fêtes). La notoriété du projet fait parler d’Excideuil, le circuit est repéré dans les dépliants touristiques.

Luc Joudinaud vient apporter son regard d’urbaniste et d’architecte au témoignage d’Arnaud Le Guay. A une histoire foncière particulière de la mairie d’Excideuil correspond une configuration remarquable : un tissu urbain dense entouré d’espaces ruraux ou naturels bénéficiant d’une protection élevée. Comment les habitants pratiquent-ils cet espace ? Comment se promène-t-on à Excideuil ? Quels sont les éléments qui favorisent cette circulation ? Quels en sont les obstacles ? La concertation directe avec les habitants est animée par les médiateurs qui informent la population qu’un aménagement de la ville va avoir lieu, qu’ils peuvent en être les « commanditaires ». Au sentiment que « c’est impossible », que « les choses sont figées », est opposée l’intervention artistique capable de penser l’utopie. A l’inverse à l’autonomie et à la centralité de l’artiste créateur, de sa personnalité, sont opposées l’exigence d’un dialogue avec les habitants et la sujétion de sa créativité au projet construit en commun. Comment le dialogue est-il possible ? D’abord, il ne l’est pas toujours, des artistes partent, des projets avortent. Ensuite, la commande publique précise que la réalisation du projet et des œuvres doit avoir un rapport étroit avec l’identité locale. C’est donc bien la ressource patrimoniale locale qui permet la création des aménagements nouveaux et conditionne la réussite d’un processus démocratique expérimental.

L’expérience passionne, les documents présentant les réalisations circulent, on s’étonne, on s’extasie. Cependant la discussion reprend sur le processus: le projet utopique n’a-t-il pas été justement rendu possible par l’absence d’intercommunalité et la faiblesse du débat à l’intérieur du conseil municipal ? La matinée avait été passée à raconter le patient travail de compromis politique réalisé par les élus de Fumel ou les techniciens du Val d’Adour. L’expérience de démocratie culturelle directe associant les citoyens créatifs aux projets d’aménagement urbains fait rêver, d’autant qu’Excideuil se coordonne avec d’autres réalisations du même type, qu’elles soient privées ou publiques comme le sont les « jardins de l’imaginaire » dans la ville proche de Terrasson. Dans le même temps, la présentation d’Excideuil comme une oasis culturelle dans un Pays très rural ne satisfait pas plus le maire d’Excideuil que les participants.

« Il faut y aller pour voir », conclut François Lajuzan. Tout le monde est d’accord, même si le modérateur précise une dernière fois qu’aucune expérience n’est transposable. Les dernières paroles des élus (Michel Frouin revenu d’une réunion au Conseil Général), disent en écho leur satisfaction de voir le Fronsadais culturel en si bonne voie.

En guise de synthèse…
Le premier élément qui se dégage de cette journée porte sur la comparaison des espaces. Tournefeuille, le Fumelois, le Val d’Adour, Excideuil apparaîssent parfois aux antipodes de la situation du Fronsadais, même si chacun peut se reconnaître dans telle ou telle facette de chaque exemple. La comparaison des modèles est source de discussion entre les participants, discussion d’autant plus riche qu’elle met en relation des personnes aux statuts différents sans parler de la diversité des « cultures individuelles » qui sont la marque de la société contemporaine. La culture en Fronsadais est aujourd’hui une utopie à construire. La première phase de cette construction est la constitution d’un lexique commun identifiant les acteurs, les actions, les équipements, les événements et répertoriant les différentes approches méthodologiques : diagnostic extérieur ou partagé, charte, commission, expertise. Le choix de ces outils qui ne sont pas neutres gagnera donc à être précédé d’une élucidation des enjeux par le collectif : c’est le but recherché par l’Iddac en proposant les témoignages et exposés qui ont été présentés au cours de la journée.

Le deuxième élément porte sur le récit. Aménager les espaces par la culture revient inévitablement à raconter ce qui s’y est passé, comment on en est arrivé là, quels sont les potentiels du territoire. Qui est légitime pour raconter le Pays ? Y a-t-il une ou plusieurs histoires, une ou plusieurs géographies ? Laquelle choisira-t on, la plus poétique, la plus efficace, la plus consensuelle, la plus mobilisatrice? Sur quels éléments tangibles se basera ce récit : sur les paysages ? Le patrimoine ? L’économie locale ? L’histoire des élites locales ? La question sociale ? Le récit initial que l’on trouve comme exercice obligé dans les chartes de Pays ne participe-t-il pas aussi à rendre invisibles certaines populations habitant le territoire (les rurbains du Médoc, les marocains de Sainte-Foy-la-Grande) ? L’idée que la culture joue un rôle majeur dans les recompositions territoriales apparaît comme une évidence, comme le fait que la culture n’est pas toujours synonyme de démocratie, ni même d’égalité.

Le troisième élément porte justement sur les différents niveaux de démocratie évoqués et souvent confondus tout au long de la journée : démocratie représentative au suffrage direct (communes), indirecte (intercommunalités), indirecte avec une participation des forces vives (Pays), démocratie participative, associative, syndicale, professionnelle… Avec qui faut-il construire le Pays, l’intercommunalité ? Qui est légitime dans cette construction ? Aux extrêmes ne seraient-ce pas l’Etat et ses services d’un côté, le public d’un autre côté qui sont les arbitres du projet culturel ? Cette confusion (qui n’est pas propre au Fronsadais) traduit un malaise : les élus locaux ne maîtrisent plus vraiment le changement, droite et gauche peuvent gouverner localement à peu près de la même manière, les contraintes réglementaires et budgétaires annihilent une bonne partie de la créativité politique. Cela produit une baisse de légitimité et produit une perplexité : que veulent les gens ? Qu’est-ce qu’on peut inventer pour les mobiliser avec les moyens qu’on a ? La solution est peut-être dans les dispositifs de concertation (conseils de développement, commissions extra-municipales, conseils de quartier) qui intègrent les « forces vives ». Mais dès que celles-ci sortent de leur rôle d’informateur/valideur, « on » (les experts, les responsables administratifs, les élus) les accuse de faire de la politique, ou bien de défendre des « intérêts individuels » !

Face à l’éloignement du monde politique et des citoyens le territoire apparaît comme une ressource permettant de recréer des liens sociaux sur un projet politique : projets de Pays menés à partir d’un périmètre pertinent et s’appuyant sur l’histoire et la géographie locale, les goûts et les traditions, l’identité. La culture est pressentie comme un moyen de ressusciter les identités territoriales. Il ne va pas de soi en revanche qu’elle participe à recréer de la démocratie. Elle peut être même à contre emploi utilisée comme palliatif du déficit de démocratie en organisant les artefacts de la rencontre entre les élus et le peuple.

YR, 26/03/06

Pour information, les synthèses des trois jours de séminaire organisé en Haute Gironde en 2003 sont consultables sur le site de la MSHA (www.mocta.com)
 

 

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