Synthèse du séminaire
du 1er mars 2006 à Saint-Germain-la-Rivière
Yves Raibaud, maître de conférences, IUT Michel de
Montaigne Bordeaux
Introduction générale
L’initiative du séminaire revient à Olivier Desagnat,
président de l’Office Fronsadais des Arts et de la Culture (OFAC),
suite aux ateliers de réflexion mis en place par le Pays du
Libournais1. Le Pays, territoire de projet, suscite ainsi
l’initiative et fait émerger de nouveaux acteurs qui interpellent
les communautés de communes. On retrouve autour de la table ces deux
modes de la décentralisation. La première s’appuie sur les « forces
vives » (les Pays, loi Voynet) et procède par ajustement souvent
sous la pression des intérêts particuliers ou de groupes constitués.
La seconde décentralise l’Etat vers les Conseils généraux, puis (loi
Chevènement) les intercommunalités en s’appuyant sur l’homogénéité
d’une classe politique proche de la fonction publique aux
différentes échelles territoriales, qu’elle en soit issue ou qu’elle
y ait été intégrée a posteriori. L’aventure du séminaire débute dans
ce contexte de la façon la plus positive qui soit : Michel Frouin,
maire de Lugon, président de la communauté de commune et
vice-président du Conseil Général de la Gironde institue
l’initiative de l’OFAC, confortée par la présence de Serge Morin,
président du Pays du Libournais et de nombreux élus. L’Iddac
représenté par Myriam Brun Cavanié affirme la présence bienveillante
du Conseil Général de la Gironde et précise qu’il ne s’agit pas de
proposer de modèle mais une méthodologie : pour mettre en place une
action culturelle commune, il faut penser la culture comme un objet
à construire par les acteurs du Pays eux-mêmes.
Dans cette configuration apaisante, le débat sur « quelle culture
pour le Fronsadais ? » peut alors démarrer dès les premiers mots
d’accueil. Pour Michel Frouin, la culture est une « base de savoirs
» qui doit être partagée par petits et grands et qui permet de «
créer, apprendre et changer », de « dépasser les nostalgies » pour
répondre aux défis du monde moderne. Pour Olivier Desagnat,
l’urgence est de tisser et retisser des liens détruits dans une
société « individualiste et marchande ». L’arrivée de nouvelles
populations urbaines en Fronsadais pose le problème de leur
intégration à la vie locale, l’urbanisme doit être maîtrisé pour
conserver une qualité de vie. On pourrait voir sur ces quelques mots
l’opposition de deux représentations de la culture sur les
territoires. Il reflète d’emblée le processus démocratique qui sera
illustré par les nombreuses interventions des représentants du
Fronsadais au cours de la journée
François Lajuzan, directeur des affaires culturelles de la mairie de
Tournefeuille (31) a été sollicité pour animer cette journée. En
présentant succinctement l’action menée sur Tournefeuille, il montre
comment l’élue à la culture et lui-même ont « désinstallé » une
programmation culturelle standard (centre culturel, école de
musique, animateurs scolaires…) pour en faire un projet global
incluant l’action sociale et socioculturelle, le développement
économique, l’aide à la création artistique. Cette présentation d'un
exemple urbain pose néanmoins les fondamentaux du développement
culturel : -Une volonté politique -Le souci d'un lien fort entre
l'art et les habitants -Une structuration professionnelle -Des
actions en transversalité avec les milieux éducatifs et sociaux
La rénovation de la politique culturelle et son développement
(Tournefeuille bénéficie d’une grande notoriété sur ce plan dans
l’agglomération de Toulouse) sont facilités par le partenariat avec
les acteurs indépendants de la ville ou de l’agglomération,
associations, compagnies, artistes, entreprises culturelles telles
que l’Utopia... Le débat s’ouvre instantanément sur les rapports
ville/campagne : les moyens financiers et logistiques de
Tournefeuille ne sont pas comparables avec ceux que l’on peut
trouver dans le Fronsadais ! Une autre idée apparaît en suivant, qui
fait consensus : le rural n’est pas seulement un lieu qui manque de
moyens, c’est aussi une autre entrée culturelle. Ne faut-il pas
faire le lien entre identité locale, environnement, qualité de vie,
patrimoine et développement économique local ? Les trois exemples
d’animation culturelle du territoire qui vont être exposés dans la
journée suivent le chemin tracé par ces propos et cette discussion
préliminaire.
1 Dans ce texte, le masculin est utilisé comme représentant des deux
sexes sans discrimination à l’égard des femmes et des hommes et à
seule fin d’alléger le texte.
La communauté de communes du Fumélois Lémance
Le récit de Jacques Faux, président de la communauté de communes du
Fumélois commence par la géographie et l’histoire de la région.
Cependant, il serait plus exact de dire « une géographie » et « une
histoire ». Le Lot (l’eau) et le Périgord (la forêt) sont évoqués
comme deux éléments dont la rencontre produit l’industrie, qui
elle-même produit l’histoire du bassin fumélois, ce qui amène au
centre du récit : la crise économique des années 80. Le propos des
élus s’inscrit donc d’emblée en référence à cette histoire récente.
L’intercommunalité est racontée comme une nécessité de gérer la
sortie de la crise, la culture arrivant en second temps comme un des
moyens d’en sortir « la tête haute », de communiquer une image
positive du pays à l’intérieur comme à l’extérieur. Le projet
culturel du Fumélois, établi en 1996 en concertation avec la DRAC
Aquitaine et l’Office Départemental du Lot-et-Garonne a pu se bâtir
parce que beaucoup d’élus de l’époque étaient à l’écoute du fait
culturel, déjà sensibilisés, soit par leur implication dans l’action
populaire (FOL), soit en tant qu’enseignants dans l’éducation
nationale.
Une autre histoire se lit en filigrane de la première. L’esprit
communautaire n’existe pas encore, il y a des rivalités entre
communes. Le modus vivendi exige une certaine neutralité. Cette
neutralisation de l’intercommunalité se retrouve dans une démarche
qui n’intègre dans le pot commun que ce qui ne fâche pas. La
création d’une politique culturelle commune se construit ainsi «
dans les failles de l’existant », mais aussi dans la temporalité des
actions : l’accent est mis sur la période scolaire pour ne pas
surcharger une période estivale très riche en événements liés au
tourisme. La réalité de l’intercommunalité culturelle se traduit
néanmoins par le vote d’un budget propre et l’embauche d’un agent de
développement en charge de la culture. Un autre aspect de cette
réalité, qui procède à la fois de la modestie des moyens et d’une
démarche démocratique, consiste à travailler avec toutes les
associations dans le cadre d’une charte culturelle, à la fois guide
et outil d’évaluation des actions.
Pascal Bagnara, agent de développement culturel, est issu du monde
associatif de Fumel à l’époque où le « Rock à Fumel » s’était taillé
une réputation régionale et nationale. Il complète le propos de
Jacques Faux par une approche pragmatique de l’action culturelle
opposant diffusion et action culturelle : il s’agit avant tout de
travailler de façon la plus décentralisée possible en privilégiant
les petites formes adaptables aux demandes des écoles, des
associations, des petites communes, des exploitations agricoles etc.
pour pouvoir de temps à autre mobiliser la population vers quelques
événements phares. Un des potentiels du Fumélois, c’est la présence
sur son territoire d’associations dynamiques volontaristes, d’une
ZEP qui aide à structurer les relations avec les établissements
scolaires et une population issue des différentes vagues
d’immigration. Très peu d’artistes habitent sur le territoire, ils
viennent... La Cie Humaine s’y est installée après deux ans de
résidence ateliers, d’autres sont des voisins ou viennent de loin
dans le cadre de résidence temporaire. L’attraction que représente
un territoire rural à forte identité patrimoniale pour les artistes
est également une opportunité pour offrir sur un marché national de
la « résidence d’artiste » un accueil de qualité. Le rapport «
qualité-prix » de ce type de transaction est sans commune mesure
avec le coût d’achat d’un spectacle ou d’installation d’une
exposition. Les commanditaires (ici la communauté de communes) s’y
retrouvent mieux car ils peuvent adapter le contenu des
interventions avec les artistes : l’objectif est également de
favoriser la rencontre entre artiste et nouveaux publics en
favorisant du lien social. La médiation culturelle est fondamentale
pour le développement des publics.
La discussion porte d’abord sur la charte : n’est-elle pas plus
souple qu’une compétence culturelle ? Négociée et négociable ne
représente-t-elle pas une entrée idéale pour le mouvement associatif
? Jacques Faux approuve, tout en rappelant qu’elle est d’abord la
marque d’une intercommunalité « par défaut » et non d’une volonté
politique forte : celle-ci n’existe pas. Cette remarque convient aux
élus présents : « Fumel nous ressemble » déclare une maire du
canton. Il faut partir des ressources locales et construire
progressivement le projet culturel. Ainsi pensé, le projet culturel
est également un facteur de développement des ressources locales.
Pascal Bagnara cite l’exemple d’artistes professionnels : La Cie
Humaine qui s’est installée en Fumélois-Lémance il y a deux ans
s’implique sur le territoire en cumulant des actions de type
purement artistique (rodage de spectacle en création dans les
petites communes pour aller à la rencontre des non-publics du centre
culturel. Diffusion de la grosse forme : « La Luna Négra » -primée
au niveau national -dans la grande salle. Plusieurs novices, ravis
de cette première rencontre avec le spectacle dans leur commune, ont
réservé des places pour la grosse forme, donnée quelques semaines
après, à l’issue de la petite forme décentralisée), un travail
pédagogique avec les écoles et lycées qui rejoignent d’autres
manifestations qui servent la promotion du territoire et d’acteurs
économiques (diffusion des créations des lycéens dans le cadre des
journée de Ferme en Ferme pilotées par la Chambre d’Agriculture)
l’objectif étant toujours l’irrigation du territoire sur des
communes où il n’y a pas de lieux de diffusion et la mise en place
d’actions de médiation. Il sera entrepris l’an prochain un chantier
d’écriture en interaction avec les anciens du territoire (via le
club des aînés ruraux, point lecture et autres associations) autour
des « premières fois et des rites de passages ». Ces paroles ou
écrits alimenteront une création professionnelle à dimension
universelle, destinée à tourner au niveau national, mais il sera
envisagé l’organisation d’étapes intermédiaires de restitution
auprès des populations sous forme de lectures théâtralisées
présentées dans le cadre de « veillées » ouvertes (spectacle
discussion).
Le Pays du Val d’Adour
La deuxième expérience est présentée par Marie Creunier, chargée de
mission pour mettre en œuvre le projet culturel du territoire du
Pays de Val d’Adour. Même si les thématiques sont proches de
l’intervention précédente, on entre dans une nouvelle configuration.
Ce Pays est encore différent, à cheval sur deux régions (Aquitaine,
Midi-Pyrénées), sur trois départements (Gers, Hautes-Pyrénées,
Pyrénées-Atlantiques) et frontalier de l’Espagne. 51 000 habitants
sont répartis sur 202 communes, le Pays ne compte pas de ville
centre, mais trois villes attractives en périphérie : Auch (32),
Tarbes (64), Aire-sur-l’Adour (40).
Le Pays du Val d’Adour est un pari mené par un ancien ministre (Jean
Glavany, maire de Maubourguet) sur la cohésion d’un ensemble rural «
homogène » et en pleine reconversion. L’autre particularité est le
choix qui a été fait de déléguer à une société d’économie mixte de
projet, l’agence Semadour, l’animation et l’assistance technique
pour le contrat de Pays du Val d’Adour. La neutralité de l’agence se
manifeste par une phase de diagnostic (qui fait le point sur les
potentialités du territoire et préconise des axes de développement
dans une conception très large du champ culturel), par la création
d’un poste de chargé de mission culture et par la confection d’un
budget (collectivités territoriales, Etat, Europe) de 76 400 € par
an pendant trois ans. Le Pays ne s’est pas imposé comme
programmateur, il aide les initiatives locales portées par les élus
et met en place progressivement les conditions d’un arbitrage.
Cette démarche est analysée avec finesse par Marie Creunier à partir
de deux points de vue. Le premier est celui de la technicienne qui
décrit de façon vivante la navette entre tous les partenaires
jusqu’à la création du compromis : recevoir les associations d’un
côté pour construire l’offre, travailler avec les élus de l’autre à
l’expression de la commande politique, s’informer auprès des réseaux
institutionnels de la culture (DRAC, Régions, Départements)2 des
limites fixées à l’éligibilité des projets… L’autre point de vue,
plus institutionnel, présente la construction progressive des
critères de qualification et des instances qui les attribuent. Une
commission culture est créée pour traduire les volontés politiques
en critères d’intervention aboutissant à des stratégies. La
subordination aux financements importants et croisés des partenaires
(Europe, Etat, départements, régions) est peu à peu acceptée, les
critères implicites imposés par les « bons usages » culturels sont
intériorisés par les membres de la commission. Dans ce cadre, la «
bonne volonté culturelle» des élus est cependant prudente. Il ne
s’agit pas de recréer une politique culturelle mais de compléter
l’offre existante par des actions décentralisées maillant le
territoire et valorisant sa richesse patrimoniale : églises romanes,
bistros de pays, arènes. On n’aide donc pas davantage l’important
festival de Marciac, même si celui-ci doit se transformer en pôle
culturel et peut servir de locomotive au Pays, mais on poursuit
prioritairement l’utopie que représenterait une identité culturelle
de Pays. La charte qui résulte du travail de la commission produit à
la fois de l’insatisfaction (tous les acteurs associatifs ne seront
pas intégrés dans la démarche de Pays) mais aussi de la
professionnalisation pour ceux qui passeront des conventions
pluriannuelles et pourront ainsi pérenniser leurs actions. En
organisant des formations pour ces acteurs associatifs, l’agence
participe de plus à la structuration et à la consolidation d’un
réseau culturel autonome local et des emplois qui l’accompagnent.
Tout ceci est fragile, d’où l’importance de la communication qui met
en valeur le travail réalisé et mobilise les « forces vives » du
Pays.
2
Ce qui n’est pas simple si l’on considère qu’outre l’Europe
(programme Leader) et l’Etat (DRAC) qui n’interviennent pas sur les
mêmes critères, chaque département et chaque Région a sa politique.
Ainsi la Région Aquitaine intervient-elle sur des lignes de budget
consacrées au développement territorial et la Région Midi-Pyrénées
sur le budget culture etc.
Débat sur les Festivals
Un débat vif s’engage sur les festivals : le festival de jazz de
Marciac est-il un « plus » pour le Pays ? Les communes du Pays en
ont un peu peur : le jazz, c’est 15 jours par an sur une seule des
202 communes, il ne faudrait pas que le projet de centre culturel de
Marciac (salle de spectacle, studios d’enregistrements) mobilise la
totalité des ressources consacrées à la culture par le Pays, surtout
si les autres partenaires venaient un jour à se désengager ! Jacques
Faux donne son point de vue sur les festivals : le danger des
festivals c’est qu’ils peuvent contourner les logiques de
construction territoriale en monopolisant toutes les subventions
locales, départementales et régionales. Les Festivals peuvent être
peu structurants pour les populations du territoire. Olivier
Desagnat interpelle Dominique Beyly, responsable du festival des
Arts de la Rue de Libourne : qu’en est-il du succès grandissant de
Fest’Arts pour le Pays de Libourne ? Dominique Beyly admet
s’inquiéter de l’avenir du festival. Il ne faudrait pas qu’il soit
débordé par l’arrivée d’un public chaque année plus nombreux. La
comparaison avec Marciac et Bonaguil s’arrête là car il est légitime
pour Libourne, ville centre de 20 000 habitants, d’avoir un
événement annuel de cette importance. Mais il y a aussi une
différence notable qui pourrait bien résoudre les contradictions que
connaissent Marciac et le Pays du Val d’Adour : les Arts de la Rue
sont par définition mobiles, majoritairement constitués de « petites
formes » qui ne nécessitent pas d’infrastructures ni de salles. Ils
sont donc tout à fait adaptés à une programmation décentralisée et
ouverte au partenariat avec les associations, les petites communes,
les écoles.
La commune d’Excideuil en Dordogne
La troisième intervention est consacrée à la présentation d’une
action culturelle portant sur l’aménagement des espaces publics du
territoire communal d’Excideuil (Dordogne, 1500 habitants). Arnaud
Le Guay, qui n’est pas originaire de la commune, a été élu maire en
1995. Il décrit avec humour son installation de « jeune maire élu à
la faveur d’une lutte de clans » dans un canton rural et
conservateur, où les maires sont pour la plupart des hommes
retraités ayant un rapport à l’immobilier local. Que faire dans ce
contexte ? Son mandat commence par un diagnostic portant en
particulier sur le logement dans la commune et le patrimoine
communal. La commune, même enclavée, est attractive pour des
familles travaillant à Périgueux qui ont choisi d’habiter en milieu
rural. Elle accueille également comme toutes les communes de
Dordogne une population anglaise et du Nord de l’Europe
mi-saisonnière, mi-sédentaire. Le développement d’une activité
culturelle en partenariat avec les quelques associations locales et
les réseaux départementaux (ciné-passion, opération Voix de l’Hiver,
ADDC) aboutit à la création d’un emploi culturel et à la
construction d’une salle de spectacle de 200 places équipée qui
connaît un bon succès (6000 spectateurs par an !). Mais cette
politique – dit le maire – est menée dans la solitude : les communes
voisines refusent de s’associer à une quelconque action
intercommunale, ce qui fait du canton d’Excideuil un des rares
cantons de Dordogne sans intercommunalité. Le conseil municipal est
partagé entre droite et gauche, les décisions sont prises aux
réunions de groupe, ce qui limite le débat démocratique. C’est dans
ce contexte que le maire rencontre, par l’intermédiaire de la DRAC
Aquitaine, la Fondation de France qui lui propose de cofinancer un
programme nommé « Les nouveaux commanditaires », concept inventé par
un artiste, François Hers.
Il s’agit de permettre à des groupes d’habitants d’être à l’origine
de la commande d’œuvres d’art. Sur des lieux choisis de la commune,
six groupes de travail sont constitués, chaque groupe exprime des
souhaits. Un architecte Luc Joudinaud, et un urbaniste, Pierre
Marsaa (médiateur à la Fondation de France) sont délégués pour faire
la médiation. Ils aident les habitants à formuler leur demande, à
trouver l’artiste qui peut les aider, à réunir le budget et à
organiser la réalisation de l’œuvre. Après des heures de réunions
passionnées, de promenades sur les sites, d’ébauches de dessin, le
groupe élabore son projet : une passerelle sur la petite rivière qui
longe le bourg, des bancs publics sur lesquels sont écrits la
mémoire des quartiers (devenus « bancs à poèmes »), la réalisation
de sculptures à l’entrée de grottes aménagées, un abri pour les
chasseurs et les randonneurs, un reportage photographique, un Moulin
à images… La plupart des projets sont réalisés, certains seront
abandonnés, mais l’expérience est marquante, on en parle, on
constate avec bonheur que les aménagements fonctionnent (la
passerelle, les bancs). Les habitants s’approprient les créations
(exemple du reportage photographique qui est vendu chez les
commerçants et utilisé pour leurs affiches par le club de rugby et
le comité des fêtes). La notoriété du projet fait parler
d’Excideuil, le circuit est repéré dans les dépliants touristiques.
Luc Joudinaud vient apporter son regard d’urbaniste et d’architecte
au témoignage d’Arnaud Le Guay. A une histoire foncière particulière
de la mairie d’Excideuil correspond une configuration remarquable :
un tissu urbain dense entouré d’espaces ruraux ou naturels
bénéficiant d’une protection élevée. Comment les habitants
pratiquent-ils cet espace ? Comment se promène-t-on à Excideuil ?
Quels sont les éléments qui favorisent cette circulation ? Quels en
sont les obstacles ? La concertation directe avec les habitants est
animée par les médiateurs qui informent la population qu’un
aménagement de la ville va avoir lieu, qu’ils peuvent en être les «
commanditaires ». Au sentiment que « c’est impossible », que « les
choses sont figées », est opposée l’intervention artistique capable
de penser l’utopie. A l’inverse à l’autonomie et à la centralité de
l’artiste créateur, de sa personnalité, sont opposées l’exigence
d’un dialogue avec les habitants et la sujétion de sa créativité au
projet construit en commun. Comment le dialogue est-il possible ?
D’abord, il ne l’est pas toujours, des artistes partent, des projets
avortent. Ensuite, la commande publique précise que la réalisation
du projet et des œuvres doit avoir un rapport étroit avec l’identité
locale. C’est donc bien la ressource patrimoniale locale qui permet
la création des aménagements nouveaux et conditionne la réussite
d’un processus démocratique expérimental.
L’expérience passionne, les documents présentant les réalisations
circulent, on s’étonne, on s’extasie. Cependant la discussion
reprend sur le processus: le projet utopique n’a-t-il pas été
justement rendu possible par l’absence d’intercommunalité et la
faiblesse du débat à l’intérieur du conseil municipal ? La matinée
avait été passée à raconter le patient travail de compromis
politique réalisé par les élus de Fumel ou les techniciens du Val
d’Adour. L’expérience de démocratie culturelle directe associant les
citoyens créatifs aux projets d’aménagement urbains fait rêver,
d’autant qu’Excideuil se coordonne avec d’autres réalisations du
même type, qu’elles soient privées ou publiques comme le sont les «
jardins de l’imaginaire » dans la ville proche de Terrasson. Dans le
même temps, la présentation d’Excideuil comme une oasis culturelle
dans un Pays très rural ne satisfait pas plus le maire d’Excideuil
que les participants.
« Il faut y aller pour voir », conclut François Lajuzan. Tout le
monde est d’accord, même si le modérateur précise une dernière fois
qu’aucune expérience n’est transposable. Les dernières paroles des
élus (Michel Frouin revenu d’une réunion au Conseil Général), disent
en écho leur satisfaction de voir le Fronsadais culturel en si bonne
voie.
En guise de synthèse…
Le premier élément qui se dégage de cette journée porte sur la
comparaison des espaces. Tournefeuille, le Fumelois, le Val d’Adour,
Excideuil apparaîssent parfois aux antipodes de la situation du
Fronsadais, même si chacun peut se reconnaître dans telle ou telle
facette de chaque exemple. La comparaison des modèles est source de
discussion entre les participants, discussion d’autant plus riche
qu’elle met en relation des personnes aux statuts différents sans
parler de la diversité des « cultures individuelles » qui sont la
marque de la société contemporaine. La culture en Fronsadais est
aujourd’hui une utopie à construire. La première phase de cette
construction est la constitution d’un lexique commun identifiant les
acteurs, les actions, les équipements, les événements et
répertoriant les différentes approches méthodologiques : diagnostic
extérieur ou partagé, charte, commission, expertise. Le choix de ces
outils qui ne sont pas neutres gagnera donc à être précédé d’une
élucidation des enjeux par le collectif : c’est le but recherché par
l’Iddac en proposant les témoignages et exposés qui ont été
présentés au cours de la journée.
Le deuxième élément porte sur le récit. Aménager les espaces par la
culture revient inévitablement à raconter ce qui s’y est passé,
comment on en est arrivé là, quels sont les potentiels du
territoire. Qui est légitime pour raconter le Pays ? Y a-t-il une ou
plusieurs histoires, une ou plusieurs géographies ? Laquelle
choisira-t on, la plus poétique, la plus efficace, la plus
consensuelle, la plus mobilisatrice? Sur quels éléments tangibles se
basera ce récit : sur les paysages ? Le patrimoine ? L’économie
locale ? L’histoire des élites locales ? La question sociale ? Le
récit initial que l’on trouve comme exercice obligé dans les chartes
de Pays ne participe-t-il pas aussi à rendre invisibles certaines
populations habitant le territoire (les rurbains du Médoc, les
marocains de Sainte-Foy-la-Grande) ? L’idée que la culture joue un
rôle majeur dans les recompositions territoriales apparaît comme une
évidence, comme le fait que la culture n’est pas toujours synonyme
de démocratie, ni même d’égalité.
Le troisième élément porte justement sur les différents niveaux de
démocratie évoqués et souvent confondus tout au long de la journée :
démocratie représentative au suffrage direct (communes), indirecte
(intercommunalités), indirecte avec une participation des forces
vives (Pays), démocratie participative, associative, syndicale,
professionnelle… Avec qui faut-il construire le Pays,
l’intercommunalité ? Qui est légitime dans cette construction ? Aux
extrêmes ne seraient-ce pas l’Etat et ses services d’un côté, le
public d’un autre côté qui sont les arbitres du projet culturel ?
Cette confusion (qui n’est pas propre au Fronsadais) traduit un
malaise : les élus locaux ne maîtrisent plus vraiment le changement,
droite et gauche peuvent gouverner localement à peu près de la même
manière, les contraintes réglementaires et budgétaires annihilent
une bonne partie de la créativité politique. Cela produit une baisse
de légitimité et produit une perplexité : que veulent les gens ?
Qu’est-ce qu’on peut inventer pour les mobiliser avec les moyens
qu’on a ? La solution est peut-être dans les dispositifs de
concertation (conseils de développement, commissions
extra-municipales, conseils de quartier) qui intègrent les « forces
vives ». Mais dès que celles-ci sortent de leur rôle d’informateur/valideur,
« on » (les experts, les responsables administratifs, les élus) les
accuse de faire de la politique, ou bien de défendre des « intérêts
individuels » !
Face à l’éloignement du monde politique et des citoyens le
territoire apparaît comme une ressource permettant de recréer des
liens sociaux sur un projet politique : projets de Pays menés à
partir d’un périmètre pertinent et s’appuyant sur l’histoire et la
géographie locale, les goûts et les traditions, l’identité. La
culture est pressentie comme un moyen de ressusciter les identités
territoriales. Il ne va pas de soi en revanche qu’elle participe à
recréer de la démocratie. Elle peut être même à contre emploi
utilisée comme palliatif du déficit de démocratie en organisant les
artefacts de la rencontre entre les élus et le peuple.
YR, 26/03/06
Pour information, les synthèses des trois jours de séminaire
organisé en Haute Gironde en 2003 sont consultables sur le site de
la MSHA (www.mocta.com)