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Fabrice THURIOT

 


 

 

L’offre artistique et patrimoniale en région
Proximité et rayonnement culturels

Fabrice Thuriot – L’Harmattan - 2004

Le livre de Fabrice Thuriot est la face émergée d’un imposant corpus réalisé dans le cadre de l’appel à propositions sur la géographie de l’offre culturelle lancée par le Département des Etudes et de la Prospective (DEP) du ministère de la Culture en 1999. Le corps de l’ouvrage (190 pages) est illustré de nombreux tableaux statistiques et complété par 44 pages d’annexes fournies montrant la solidité de l’étude menée sous la direction de Fabrice Thuriot. Le choix de deux régions (Champagne-Ardennes et Rhône-Alpes) comme terrain d’étude est certes lié à la localisation des équipes de recherche et à l’existence de pôles de recherche et de formation dans le domaine de la culture à Reims et Grenoble. Il n’en est pas moins judicieux en ce qu’il propose la comparaison de deux régions assez dissemblables du point de vue de l’économie, de la démographie et du poids des villes-centres qui constituent des éléments favorables au développement des équipements culturels et de l’offre qui y est associée. 

L’ouvrage se compose de quatre parties. La première propose les données de cadrage (géographiques, démographiques, économiques et sociales) des deux régions, puis les associent aux données culturelles, introduisant les premières corrélations quantitatives. Cette comparaison à double entrée (Champagne-Ardennes vs Rhône-Alpes, socio-géo-économie vs offre culturelle) est complétée par une proposition d’organisation de la recherche en trois approches complémentaires, l’analyse territoriale (contribution au chantier de l’Atlas des activités culturelles), l’analyse socio-économique et l’analyse en terme de politiques culturelles.  

La deuxième partie analyse la répartition de l’offre culturelle dans les deux régions. Le constat que la quantité de l’offre culturelle est une dérivée du poids des infrastructures (ailleurs appelées instance géoéconomique, Di Méo, 1998) et de la régulation opérée par les politiques publiques est renforcé par la limitation de l’objet de l’étude (uniquement l’offre artistique et patrimoniale, hors la plus grande partie du secteur associatif ou marchand). L’auteur pondère cependant ces causalités en mentionnant la présence du secteur associatif ou socioculturel et d’une « offre culturelle de base » indépendante qui peut être spécifique (conte et musiques traditionnelles) ou nationale « chorales et formations musicales qui forment la majorité de l’offre culturelle sur la région Champagne-Ardennes » (p.74-75). Mais cette proposition, peut-être difficile à analyser avec les outils proposés, est peu valorisée. 

La troisième partie se propose de dépasser une analyse territoriale fondée essentiellement sur la localisation de l’offre en introduisant les termes de « rayonnement » et de « circulation » de l’offre culturelle. Le rayonnement de l’offre culturelle est une donnée déjà ancienne qui a l’avantage de faire partie de l’outillage de l’INSEE, notamment par l’inventaire communal (données disponibles pour les centres culturels, théâtres, écoles d’enseignements artistiques). Il offre une entrée pour la représentation des dynamiques socio-spatiales et induit l’analyse de ces dynamiques avec les outils de la science politique. Les politiques publiques de la culture sont en effet investies par des acteurs pour qui la circulation de l’information culturelle facilite le développement des réseaux, ce qui s’évalue très prosaïquement par les « retombées médiatiques » (tableau, p.134). Mais là encore, le cadre méthodologique préfère la matérialité de la description des réseaux d’équipements et d’actions sur l’espace géographique à celle, plus explicative, des réseaux d’acteurs pour lesquels l’offre artistique et patrimoniale n’est pas une offre neutre mais contribue à donner du sens à l’action publique ou associative. De même le choix d’écarter le territoire physique sur le principe qu’« il n’est pas sûr (…) que le territoire physique soit complètement prégnant dans la mesure où la circulation de l’offre est en partie de plus en plus immatérielle »  (p.12) participe à réduire l’analyse territoriale en la privant d’une des composante de la formation sociospatiale des territoires (Di Méo, 1998). La rigueur scientifique de l’exposé qui repose sur la maîtrise des contours de l’objet et sur un appareil lourd de mesures quantitatives répond en partie à cette objection : il s’agit pour l’auteur de répondre à la commande en élaborant de nouveaux outils de mesure de l’offre intégrant une dimension territoriale. 

La quatrième partie introduit une variable intéressante en prenant comme base pour « l’essai de typologie des profils culturels » les petites communes, autrement dit en analysant l’offre culturelle par le bas des seuils de population. L’auteur pose judicieusement l’hypothèse que la variation de l’offre est plus sensible dans les villes de 2000 à 10 000 habitants et ouvre la discussion sur la constitution de l’offre culturelle en France et dans les régions considérées. Le collectage des données a été fait de façon différente sur les deux régions : en Champagne-Ardenne le secteur associatif « non reconnu » a été agrégé aux données fournies par la DRAC alors qu’en Rhône-Alpes, seules les données de la DRAC ont été pris en compte, et avec elles les critères de qualification artistique ou scientifique de l’offre. Cette différence d’approche, annoncée comme complémentaire, permet une discussion ouverte sur l’histoire de la constitution de l’offre. L’intervention de l’Etat dans le domaine du patrimoine dès le XIXème siècle, puis les concepts plus récents de démocratisation et de décentralisation culturelle n’ont pas été uniquement normatifs descendants mais aussi le résultat de négociations et de compromis avec les acteurs locaux. De nombreuses exceptions à un idéal-type de planification culturelle montrent ainsi la vitalité de l’initiative locale : ici un ancien cirque d’hiver réhabilité accueille le Centre national des Arts du Cirque (Châlons-en-Champagne), là c’est un festival de marionnettes qui tire vers le haut la programmation culturelle (Charleville-Mézières), ailleurs c’est la présence d’un patrimoine historique (Remparts de Langres)... En Rhône-Alpes la diversité de l’initiative se reflète également dans les concessions mesurées faites par la DRAC aux initiatives partenariales : Cafés-musiques, Scènes de musiques actuelles (SMAC), Maisons de jeunes et de la culture (MJC) apparaissent dans le catalogue de l’offre par l’effet des dispositifs territorialisés tels que la politique de la ville, le contrat de plan Etat-Région, le FEDER, les Parc Régionaux etc.  Cependant pour l’auteur ces variations ne dérogent pas au principe de régularité, on peut même penser qu’elles le confirment : la diversité de l’offre culturelle reste proportionnelle au nombre d’habitants, régularité tempérée par les effets de ville-centre et de périphérie.

L’exposé devient alors géographique. Le rôle des places centrales et leur rayonnement est démontré par la concentration des équipements de service (dont font partie les équipements culturels), les réseaux urbains se hiérarchisent en fonction des services. Dans l’Aube le maillage des ville moyennes autour de Troyes, à peine influencé par la grande couronne de Paris se raccorde aux dispositifs voisins (Châlons-en-Champagne, Provins, Sens). Dans la région Rhône-Alpes un dense réseau routier explique les zones de chalandise des équipements culturels et accentue le déséquilibre entre régions enclavées et région desservies : le Forez, les Monts-du-Lyonnais, les Alpes apparaissent comme des obstacles, finalement on découvre que « la région (Rhône-Alpes) est par conséquent très dépendante de sa géographie (p.168) ». L’intervention publique accompagne les régularités ou atténue les contraintes. C’est le cas pour des interventions culturelles qui font depuis longtemps l’objet d’une action planificatrice comme la lecture publique et le spectacle vivant. C’est le cas également lorsque Pays et intercommunalités ont relayé les processus de décentralisation en se dotant d’une compétence culturelle.

Cette quatrième partie vient achever le chemin méthodologique qui conduit du considérable travail de recensement des pratiques culturelles des français (accompli, depuis Augustin Girard, par la DEP et Olivier Donnat) à une vision modernisée du territoire et de son aménagement culturel tout en restant compatible avec la méthode de travail utilisée depuis 1973 au ministère de la Culture. La prudence avec laquelle l’auteur interroge (à travers les entretiens des responsables de l’action culturelle) les catégories esthétiques (sont-elles éligibles ? sont-elles négociables ?) montre dès le préalable que le sujet n’est pas là. La collecte de données confirme ce souhait d’inscrire le travail d’expertise à l’intérieur d’un cadre institutionnel précis : la méthode générale d’enquête est basée sur l’analyse des données disponibles au niveau national (DEP, INSEE, DATAR), au niveau régional (entretiens avec les responsables de l’Observatoire des Politiques Culturelles de Grenoble, de l’ARSEC à Lyon, de l’ORCCA à Epernay) et d’enquêtes de terrain réalisées par des étudiants du DESS administration locale, développement local et culturel de Reims. La problématique de l’offre culturelle s’appuie sur le paradigme de la « culture comme marché » (Béra et Lamy, 2003) permettant de concevoir de manière unifiée le domaine de la culture comme une offre de biens et de services culturels, des régimes d’échanges qui les font circuler, des processus qui leurs donnent de la valeur, de l’identification des artistes (etc.), l’Etat apportant en premier lieu la garantie d’un arbitrage sur la régularité des processus de qualification et d’échange, en second lieu (dans une société démocratique) le souci d’une plus juste répartition des biens et des services culturels allant jusqu’au principe d’égalité sociale et territoriale. Là se situent peut-être les limites de l’ouvrage : à aucun moment n’est envisagée la possibilité d’une autonomie du champ culturel, ni l’hypothèse que la culture, étant à la fois objet de consommation, facteur d’intégration et productrice de normes et de valeurs, est potentiellement actrice de la formation sociospatiale des territoires autant que conséquence de ses déterminants structurels. Enfin la référence à l’identité (qui apparaît de façon récurrente lorsque la culture est utilisée par les Pays et les intercommunalités pour argumenter la pertinence de leurs périmètres et la légitimité de leurs projets) n’est pas envisagée dans ce travail alors qu’elle apparaît comme un thème majeur dans les processus de recompositions territoriales (Teillet et Langel, OPC de Grenoble, 2003).

Tous ces points n’enlèvent rien à l’intérêt de ce travail fondateur qui participe au renouvellement de la recherche sur la culture et les territoires. La modernisation de l’approche aménagiste se traduit par le souci de confectionner d’une part un outil méthodologique intégrant la notion de diversité territoriale (et la combinaison initiale localisation / rayonnement / réseaux apparaît de ce point de vue satisfaisante), d’autre part d’élaborer une grille d’analyse quantitative et qualitative des politiques culturelles des petites villes par seuil de population, ce qui est un outil pragmatique pour la gestion des initiatives culturelles décentralisées de l’Etat et des collectivités. La dernière partie de l’ouvrage apparaît enfin comme une invitation faite par l’auteur, juriste de formation, à l’interdisciplinarité dans la recherche sur la culture et les territoires, notamment par les références appuyées aux courants historiques de la géographie urbaine (et peu à ceux de la géographie culturelle ou de la géographie sociale des territoires). On peut espérer qu’il y aura une suite à ces travaux initiés par la DEP, car les perspectives ouvertes apparaissent tout à fait prometteuses.    

YR, 6/03/05

 

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