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Géographie et Musique

 


 

  Journée scientifique  géographie et musique
«Comment la musique vient elle  au territoire ?»
 
 


RESUMES DES COMMUNICATIONS DE LA JOURNEE SCIENTIFIQUE
DU 12 MARS 2007
 

 
 

« Comment la musique vient-elle au territoire ? »

est la question que posent aux géographes les ethnomusicologues et les anthropologues. Au delà de la question, c’est une posture épistémologique ouverte que nous avons retenu pour cette journée. Premièrement en considérant les phénomènes musicaux sur les territoires sans distinguer a priori les pratiques musicales et les politiques publiques de la culture. Il s’agit de se placer entre une géographie culturelle qui étudie les permanences existant entre une portion d’espace et une culture considérée comme relativement stable et des politiques publiques de la culture considérée de plus en plus souvent comme nécessaires au développement territorial. Les liens entre les deux approches méritent d’être mieux cernés pour s’enrichir mutuellement. Deuxièmement en ouvrant les espaces publics de la culture et en posant l’hypothèse qu’ils sont coproduits avec les usagers (Augustin, Lefebvre, 2005). Cette dynamique a été étudiée dans l’émergence des musiques actuelles, au stade de leur institutionnalisation. Elle induit une approche historique et stratégique qui est probablement reportable aux formes culturelles légitimes, elles aussi contingentes et historiquement datées. Troisièmement les musiques ont à voir avec les transformations des espaces qu’elles peuvent expliquer ou interpréter. Les musiques ne viennent pas naturellement au territoire, mais elles ne sont pas non plus la seule conséquence de déterminants géo-socio-économiques ni le seul fruit d’une volonté politique. Si la journée organisée le 8 juin 2006 a souligné qu’elles avaient une certaine autonomie, elle a démontré qu’elles participaient également à la construction des territoires. Mais quelle portée réelle ont elles dans ces phénomènes? « Comment ça marche ? » De quelle manière peut on en mesurer les effets ?

Présidence :
Philippe Schar,
chercheur, directeur de l’équipe Tempos, ADES
et
Jean-Pierre Augustin
, professeur des universités, ADES  

Guy DiMéo, professeur des universités, directeur d’ADES :                Présentation générale

Claire Guiu, docteure en géographie, Casa de Velasquez, Paris :      Géographie et musique, état des lieux de la recherche   

Lothaire Mabru, maître de conférences (HDR), Bordeaux :                Musique, université, recherches, quelles perspectives ?

Yves Raibaud, maître de conférences, ADES :                                 Présentation de la journée  

 
 

 

1 Aussaguel François
Etudiant en Master 2 Recherche Université Paul Valery Montpellier 3 

La production d’un événement culturel :
dynamiques spatiales et stratégies d’acteurs. L’exemple du Hellfest 

Un peu partout en Europe, à partir du mois juin, depuis fort longtemps des événements musicaux envahissent les territoires et une géographie aux sonorités metalliques s’esquisse. Grasspop Metal Meeting à Dessel (Belgique) ; Download à Donington (Angleterre) ; Rock Am Ring à NürburgRing/Eifel (Allemagne) ; Wacken Open Air à Wacken (Allemagne) ; Gods Of Metal à Milan (Italie) ; Dynamo Open Air à Eindhoven (Pays Bas) ; Tuska Open Air à Helsinki (Finlande), Rock in Rio à Lisbonne (Portugal) ; etc.…

La France, malgré un retard important, s’installe dans le circuit des festivals européens de musiques extrêmes. Clisson, une petite ville de Loire Atlantique située à une vingtaine de kilomètres au sud-est de Nantes, se prépare à accueillir pour la seconde fois le Hellfest. L’édition 2006 a été prometteuse pour ce premier festival français dédié entièrement au genre musical que l’on appelle metal. Il a réuni sur trois jours 73 groupes (dont 12 français) et prés de 22 000 spectateurs (dont 20 % d’étranger).

Quels sont les types d’espaces qui émergent de l’action des organisateurs du festival ? Comment se construisent et s’agencent ces espaces et comment sont-ils vécus par les différents acteurs (élus locaux, artistes, public, techniciens, organisateurs). Il s’agira de saisir l’espace « en action dans l’action » (Lussault, 2003), de comprendre comment s’articulent les jeux d’acteurs autour de la production et l’organisation d’un festival ? Quels sont les possibles du local, les enjeux du global, comment se combinent les actions et les interactions à plusieurs niveaux d’échelles ? En tant que festival, Le Hellfest se trouve par définition en décalage par rapport aux manifestations culturelles habituelles (Gravari-Barbas, Veschambre, 2005).De plus, en célébrant une musique comme le metal, l’effort de justification pour faire accepter la manifestation devient plus rude. En effet, en France ce genre musical est systématiquement laissé en marge par les radios et les émissions de télévision « grand public », l’impact du discours sur le metal véhiculé par les médias est important, il influe sur les représentations. Nous tenterons de comprendre les compromis et la ligne de conduite adoptés par les acteurs en suivant une posture interactionniste (Becker, 1963, 1988) qui analyse le fruit du travail des opérateurs comme une construction interactive avec leur environnement.  

2    BERU Laurent 

Université Paris III - Sorbonne Nouvelle
Département de communication
Centre de recherche C.H.R.I.M.E.


La “glocalité” du rap engagé.
Une dissémination mondiale sur des critères socio-spatiaux,
socio-ethniques et socio-économiques.

Nous montrerons comment et pourquoi une logique socio-musicale mondiale s’est créée à partir de propriétés socio-musicales nationales (américaines). Nous verrons que ces propriétés locales, ancrées dans les classes populaires les plus modestes, chez les populations ethniques les plus stigmatisées et, surtout, les territoires les plus pauvres, ont influencé des particularités socio-musicales nationales de pays très diverses (en France et au Brésil), et généré des particularités socio-musicales globales. Nous prendrons, comme principaux exemples, l’agglomération de Paris, de Sao Paulo et de Los Angeles (…) Les spécificités socio-territoriales de chaque nation peuvent être plus ou moins interprétées et comprises à partir d’une même grille de lecture (celle-ci exposant une logique sociale simpliste mais réelle) : scission entre dominants des classes aisées et dominés des classes modestes. Qu’ils soient citoyens du Brésil, des Etats-Unis ou de France, ceux que le sociologue Loïc Wacquant nomme les « parias urbains » connaissent, bien évidemment à des degrés divers, un déclassement et une exclusion : la situation sociale de ces déclassés-exclus s’exprime, d’abord et avant tout, par l’assignation spatiale (dans les favelas brésiliennes, les ghettos américains ou les cités françaises). L’éclosion du rap a été facilitée par le fait que ce genre musical soit né, en grande partie, d’un détonnant cocktail alliant exclusion sociale et explosion de la violence, et précisément dans les territoires populaires. Aux Etats-Unis ce sont les minorités ethniques qui ont créées et se sont accaparées le mouvement culturel qu’est le hip hop et sa discipline musicale le rap (afro-américains et hispano-américains). Du côté Est de l’Atlantique, ce sont principalement les français d’origine maghrébine et subsaharienne qui ont bâti le rap hexagonal. (…). Nous pouvons reconnaître l’existence d’une logique socioculturelle qui veut que certains instruments à musique, genres musicaux ou danses soient assignés à des territoires et représentatifs de leur population (…).  Dans la perspective d’animer et de promouvoir l’identité de l’espace dont ils ont la charge, les responsables municipaux des banlieues populaires des grandes agglomérations françaises tendent à s’appuyer sur les forces socio-culturelles et les atouts socio-ethniques des cités.

 

3. BOUTOUYRIE Eric

Docteur en géographie, Ater à l’Université d’Artois.                

La fête techno comme couturière de lieux contemporains (de loisirs) :
l’exemple des parties trance.
 

En prenant appui sur les récents développements d’une géographie soucieuse des affects et des dimensions culturelles de nos sociétés post-industrielles, cette contribution présentera une dimension socio-spatiale encore fort peu connue des études ayant trait à la fête et à la nuit : les parties trance.Il s’agira de montrer comment des pratiques festives associées à la musique techno, en l’occurrence celles du courant psychedelic trance (appelé parfois « goatrance »), donnent naissance à des lieux singuliers et éphémères structurés par un ensemble d’activités de loisirs (au premier rang desquels la danse et les rencontres) dans l’espace-temps du tourisme. Ces sociabilités musicales, bien souvent nocturnes mais pas exclusivement, donnant lieu à l’émergence de territorialités et de territoires sous le couvert de ce que l’on est en droit d’appeler une « artialisation répétitive » (globalisation d’une mise en art de lieux). En effet, il semble que cette manière d’habiter les lieux se reproduisent aux quatre coins du monde, de l’Afrique du Sud à l’Inde, en passant par le Brésil ou bien le Japon. Afin de mettre en évidence ces quelques aspects problématiques, nous prendrons appui sur l’étude de deux évènements majeurs de ce courant musical. Le festival allemand « Voov Experience » qui réunit tous les ans environ 12000 personnes pendant trois jours dans un champ de la petite commune de Pütlizt (Brandenbourg), et le « Boom Festival », au Portugal, manifestation ayant attiré en août 2004 plus de 20000 personnes sur les rives d’un lac à quelques kilomètres de la commune d’Idanha-a-Nova (région du Beixa). On pourra, entre autres, se demander quels sens revêtent ces établissements humains dont l’attraction dépasse largement les frontières européennes ? Qu’est-ce que les participants y recherchent ? Ces festivités, portées par des créations artistiques (musique, peinture, arts de la rue, art vidéo, etc.), ne sont-elles pas une tentative pour fonder une forme de Paradis, une sorte d’Utopie dans une tension entre urbanité et ruralité ? La fête, ici, n’est-elle pas le prétexte à la création d’une nouvelle forme d’être ensemble autour de la musique et de ses effets ?

  

4   Canova Nicolas 

Doctorant à l’Institut de géographie alpine (IGA- Grenoble I), 

La musique : du produit identitaire à la ressource territoriale 

                Pour tenter de contribuer aux travaux portant sur la géographie musicale, est donc d’une introduction spatialisante de la musique comme objet d’étude pour les sciences géographiques, nous nous proposions d’en interroger ses dimensions identitaires pour opérer ainsi un glissement de l’espace au territoire. (…) Le couple musique/territoire, fruit d’interrelations complexes entre populations, pratiques culturelles et artistiques et degré d’ouverture sur l’extérieur, nous invite avant tout à penser que la musique vient au territoire comme la musique vient du territoire, c’est-à-dire en passant par les paradigmes socioculturels et identitaires propres à l’espace social. Autrement dit, il existe un lien direct entre territoire et musique, cette dernière nécessitant de par son essence une double inscription spatiale et territoriale. Au sens où la musique est un produit identitaire, le territoire est donc producteur du sens musical puisqu’il régit lui-même la dynamique identitaire.               Hors, les paradigmes du développement territorial mettent en avant l’objet ressource comme producteur de territoire, notamment conduit par la notion de spécificité. C’est donc en plaçant la musique comme ressource territoriale que nous pensons démontrer sa capacité à participer aux processus de territorialisation. Les possibilités d’activation de la ressource, ouvertes par les mutations contemporaines, permettent alors d’aller dans ce sens (économie et industrie de la culture, tourisme culturel, pratiques amateurs, etc.) De plus, il semble que l’action collective apporte une réponse positive sur l’ensemble de ses échelles de pertinence. Reste alors à mettre en œuvre l’élaboration d’une démarche et de sa méthodologie induite pour passer de la théorie à la pratique. En couplant les approches nées de la collaboration entre Monique Desroches (ethnomusicologue à l’Université de Montréal) et Olivier Soubeyran (professeur de géographie à l’Université de Grenoble I) sur la mise en tourisme des musiques caribéennes et la résultante des travaux du CERMOSEM sur le développement territorial nous tenterons de transposer la notion de ressource territoriale au flamenco. Porté par une forte dominante identitaire, cet art est aujourd’hui sur le devant de la scène internationale, peut-être même victime de son propre succès.  Les politiques publiques se sont approprié ce qu’elles ont pendant longtemps rejeté pour l’inclure dans les processus de développement du territoire andalou. Entre muséification et spectacle vivant, patrimonialisation et créativité, folklorisation et innovation, le flamenco est tiré par les différents acteurs qui, d’un coté le mobilisent comme produit culturel, de l’autre comme une ressource propre aux dimensions multiples. En nous basant alors sur les modes d’intervention de la sphère publique et la réponse des différents acteurs du flamenco, nous rendrons compte de l’imbrication des différentes échelles d’action et des stratégies d’acteurs relatives à chacune d’entre elles. En partant d’un diagnostic territorial du flamenco, rebondissant alors sur les schèmes de l’analyse spatiale, nous montrerons comment il est en capacité de s’inscrire dans l’action aménagiste et le développement territorial. Cette approche socio-territoriale pourrait notamment montrer comment le phénomène balance entre diffusion et dispersion d’ordre mondial et ancrage confirmé au niveau local, produisant alors de multiples territorialités. 

                Nous illustrerons notre propos avec deux exemples situés dans les villes de Jerez-de-la-Frontera (Xeres) et Séville. Le premier, la Ciudad del Flamenco à Jerez, est l’aménagement fortement médiatisé d’un quartier urbain mené par les architectes Herzog et De Meuron. Le deuxième, la Feria d’avril de Séville, est la plus grande réunion andalouse portée par la sevillana, musique et/ou danse spécifique(s) à cette ville. Nous pensons alors apporter une réponse à la question posée en couplant politiques publiques et jeux d’acteurs. De l’émergence d’un style artistique à la systémisation analogique d’une culture territorialisée, par l’herméneutique comme mode interprétatif, le cheminement complexe de la musique vers le territoire serait ainsi défriché pour faire apparaître l’heuristicité de leurs liens réciproques.

 

5  CHERUBINI Bernard

ISPED – Université Segalen Bordeaux 2
UMR 5185 ADES/SSD

Métissage musical et imaginaire de la créolité.
De l’insularité réunionnaise à l’espace monde.
 

La diversité musicale réunionnaise est à l’image de la diversité culturelle de l’île : un « kaléidoscope de styles musicaux allant de la chorale au rap, en passant  obligatoirement par les formes spécifiques de l’île telles que le sega et le maloya partagé avec les îles environnantes » (Hawkins). Si la prolifération des styles est le reflet fidèle de la diversité culturelle et ethnique de l’île, on peut considérer également qu’il n’y a ni cloisonnement des différents styles musicaux, ni renferment hostile aux apports étrangers. Un développement multiforme des genres musicaux accompagne alors la scène musicale réunionnaise, de l’héritage le plus classique aux mélanges savants et insolites (« malogué », « sega jazz, etc.).

On pourrait voir dans ces mélanges une sorte d’imaginaire de la créolité, au sens où l’identité créole est faite d’emprunts, d’apports, de mélanges et de métissages des cultures et des identités. Mais le fait que la musique réunionnaise, à la différence de son homologue antillaise, semble avoir quelques difficultés à s’extraire de son confinement insulaire, à quelques exceptions près, pourrait traduite une tout autre façon de concevoir son identité et son rapport à l’espace monde. Du rempli communautaire au repli insulaire, on peut ainsi tester plusieurs hypothèses concernant le rôle de la musique en tant que stratégie identitaire dans le développement des territoires et des sociétés insulaires.

 

6. DUBUS Claire

Master 2, ENS Cachan

Le rap comme discours de connexion entre échelles territoriales : Afrique, Amérique, France 

Les discours du rap et du hip-hop revendiquent une identité très fortement spatialisée, et toujours double : une identité locale, celle du quartier dont on est issu, et une identité ‘diasporique’,  réticulée ou connectée, ces trois termes étant à discuter. En cela le hip-hop est un courant qui se prête à la réflexion géographique, notamment à une réflexion sur la notion de territoire puisqu’une part importante du discours des rappeurs constitue en une revendication de l’appartenance et de la filiation à des lieux, vécus, réels ou imaginaires. Les liens entre échelles locale et globale sont indispensables à la compréhension du rapport au territoire dans le rap (entendu ici en  tant que forme musicale normée, mais aussi forme discursive et habitus social, culturel et éventuellement politique.) On a affaire à une double logique, qui allie territoire en réseau -à échelle mondiale-, et territoire local, -à échelle d’une ville ou d’un quartier, plus rarement d’un pays. Cette double appartenance aboutit à une distorsion fondamentale dans le mouvement rap tel qu’il se représente sur une scène de plus en plus ouverte: les thématiques, quoique récurrentes et transversales, portent des enjeux très différents selon les contextes et les « filtres » (dans le sens d’Appadurai) locaux. Inversement, bien que chaque lieu produise un style de rap différent, (Bongo Flavour tanzanien, son de Vitry ou Ecole de Sarcelles, gansta rap californien), certains thèmes font office de dénominateur commun. On constate ainsi une référence constante à l’Afrique, au milieu urbain ; une omniprésence des notions de fermeture (le ghetto et la cité bien sûr mais pas uniquement) et de circulation; et le sentiment d’appartenir à un réseau de communautés perçues comme opprimées, rencontrant les mêmes difficultés sociales et politiques, et unifiées par le port de « stigmates » visibles, à savoir la plupart du temps une peau « non blanche ».  On se propose d’étudier, à travers trois situations différentes, ce rapport dans les discours du rap, entre territoires locaux et territoires en réseaux. Il s’agit d’une étude fondée sur des discours, donc des représentations. Mais le rap est un discours à la première personne, qui met en scène un ‘je’ qui, quoique mis en scène, est plus social que poétique; c’est d’ailleurs en cela qu’il s’agit d’un courant profondément identitaire. On s’attachera donc autant dans cette étude au contenu verbal et musical qu’au contexte de locution et au locuteur lui-même. Etant donné l’étendue et la complexité de la nébuleuse rap, on a choisi de se focaliser sur trois cas de figures, qui illustrent chacun à leur manière l’imbrication du lieu et du réseau dans les liens que les discours du rap peuvent entretenir avec l’espace : (…) 1. Le rap américain et le prisme de la « question noire. » (L’ouragan Katrina et ses conséquences). 2. Le rap français et le prisme de la « cité. » (Les émeutes de novembre 2005 et la remobilisation politique). 3. Le rap en Afrique et le prisme de la connexion au monde. (2005-2006, la consécration mondiale du chanteur sénégalais Akon). Chaque situation étudiée est issue d’un évènement surgi à un instant T, qui fait évoluer le courant musical et ses discours. Les grands paradigmes du rap sont présents aussi bien aux Etats-Unis qu’en Afrique et en France; mais, dans chaque cas, une des problématiques prend l’ascendant sur les autres, qui apparaissent alors comme une toile de fond indispensable mais pas comme le maître mot. Chaque cas met donc en valeur à la fois la sensibilité d’une question au niveau local et la connexion avec les autres aires via des thématiques et des problématiques communes et mises en réseau. Le cas du rap est donc un cas où ce n’est pas la musique qui vient au territoire, mais où ce sont d’abord le territoire et les lieux qui se mettent en discours et en musique ; ils en constituent même des piliers fondamentaux, qui ont, ensuite, pu prendre une dimension performative.

 

7 Goré Olivier 

Docteur en géographie
Laboratoire RESO (Rennes Espaces et Sociétés) – UMR 6590
Université Rennes 2
 

La musique bretonne, entre régionalisme culturel et politique publique de la culture 

S’il convient effectivement de ne pas distinguer les pratiques musicales et les politiques publiques de la culture lorsqu’il s’agit d’expliquer « comment la musique vient au territoire », les pratiques musicales viennent au territoire grâce à un soutien plus ou moins affirmé des pouvoirs publics. Reconnue en France comme un style musical à part entière au début des années 1980, la musique traditionnelle a certes connu une multiplication et une diversification des pratiques suite son institutionnalisation mais sa « venue » au territoire est plus complexe. L’inscription territoriale de la musique traditionnelle en Bretagne par exemple, est plus le produit d’une affirmation culturelle et identitaire que d’une volonté politique. En inventant des nouvelles formes d’expressions (cercles celtiques, bagad) et des nouveaux espaces d’expression (fêtes folkloriques, concours, fest-noz, festivals d’arts et traditions populaires) les militants culturels bretons ont adaptés les pratiques vocales et instrumentales issues de la société traditionnelle paysanne à la société moderne. Cette modernisation des pratiques a notamment entraîné un développement de la fonction artistique et identitaire de la musique bretonne qui contribue aujourd’hui à la construction symbolique de la Bretagne. Avec environ 3 000 musiciens recensés, 6 000 adhérents à la fédération Bodadeg ar Sonerien (assemblée des sonneurs de Bretagne qui fédère une centaine de bagad), environ 3 500 références discographiques recensées sur un siècle de musique bretonne, une moyenne de 20 fest-noz organisés chaque semaine et chaque année une centaine de festivals – petits et grands – dont la programmation est essentiellement tournée vers la diffusion de la musique bretonne, la musique est un des éléments les plus vivaces de la culture bretonne contemporaine. Jusqu’aux années 1980, les expressions musicales traditionnelles n’étant pas prises en compte par les politiques publiques, la musique bretonne est venue au territoire par le biais de la revendication culturelle. Ce dynamisme musical est une des principales expressions du renouvellement du régionalisme culturel d’après guerre qui n’est cependant pas sans impact politique. Néanmoins, avec la reconnaissance institutionnelle, les liens se sont diversifiés. Cette communication vise à montrer comment, entre régionalisme culturel et politique publique la musique bretonne vient-elle au territoire ? La musique bretonne bénéficie aujourd’hui d’une organisation spatiale multiscalaire structurée par des associations culturelles plus ou moins revendicatives issues du régionalisme culturel et par des organismes institutionnels du secteur de la musique nés de la politique nationale en faveur des musiques traditionnelles. Il s’agira de décrire et de comprendre le fonctionnement de cette filière musicale traditionnelle, basée sur un partenariat transversal, qui associe les actions de l’ensemble des structures à une même échelle, mais aussi vertical, qui permet aux structures des niveaux inférieurs de mettre à contribution les moyens mis à disposition par les structures de niveau supérieur pour exercer leurs missions, et de mesurer les effets de cette organisation sur les territoires : la Bretagne, dans la mesure où l’homogénéisation des pratiques à l’échelle régionale peut être un levier pour le développement culturel du territoire (économie culturelle, tourisme culturel, patrimoine immatériel) mais aussi sur des territoires locaux (pays, agglomération, communautés  de communes, communes), dans la mesure où la diversification des pratiques participent à l’animation des territoires (fonction éducative et d’animation des écoles de musique traditionnelle, rôle d’animation des fêtes et des festivals, animation socioculturelle des associations locales…).       

 

8 Grassy Elsa

Doctorante Paris 4
Culture anglophone

La Nouvelle-Orléans et le jazz, un mariage de raison ? 

La géographie musicale du 20ème siècle se distingue par une mondialisation des genres contrebalancée par leur ancrage dans des localités aux dimensions souvent mythiques. Dans l’imaginaire collectif, la Nouvelle-Orléans fait figure de Mecque irremplaçable du jazz, à la source de tous ses courants. Considérée comme le berceau de cette musique, elle est aussi perçue comme l’endroit qui rend le mieux compte de l’esprit du jazz et se pose en gardien de ses traditions. Cependant, ce couple géomusical (comparable à ceux de la country music et de Nashville ou encore du Delta du Mississippi et du blues) a connu bien des tensions, depuis les articles du Times Picayune où le jazz était qualifié d’ « atrocité » et la fermeture de Storyville en 1917 jusqu’aux politiques culturelles erratiques des années 1960 à nos jours. La création du Parc National du Jazz en 1994, qui de prime abord semblait couronner une relation privilégiée entre la plus américaine des musiques et la plus festive des villes des Etats-Unis, a mis en évidence un ensemble de tensions à l’œuvre dans le processus d’institutionnalisation du jazz. Après les ravages de l’ouragan Katrina, la ville se retrouve à nouveau en chantier, sur le terrain et dans les esprits. Au terme de cette entreprise de redéfinition, quelle sera la version de la Nouvelle-Orléans  qui en sortira victorieuse? Tout dépend de la polyphonie qui sera tolérée dans le nouvel air de « the Big Easy ». 

 

9 GUILLOT Gérald

Doctorant en didactique musicale, professeur certifié de musiques actuelles  

Transplantations musicales : nouveaux territoires ? Nouvelles territorialités ?
Brésil et Bretagne à Bordeaux
 

Dans sa révélation progressive de la diversité des formes musicales du monde et de leurs intrications, l'ethnomusicologie a dû sacrifier aux contingences ethnographiques une forme de territorialisation des phénomènes musicaux dont elle rendait compte. Or, l'Homme n'a jamais cessé de se déplacer, un processus aujourd'hui largement accéléré par une mondialisation qui concerne également les musiciens : ces derniers concourent ainsi à la transformation d'objets et espaces musicaux en recomposition permanente. Afin d'exemplifier ces mécanismes, nous examinerons les cas de deux émergences girondines : l'Ecole de Samba Macunaíma, et le Bagad Ker Vourdel. Nous constaterons qu'en dépit de différences importantes a priori (l'un d'essence brésilienne, l'autre bretonne), ces deux exemples puissent être appréhendés avec une même approche qui en donne une interprétation originale des conditions d'émergence, de maintien et le cas échéant, de déclin. Nous postulerons que ces émergences, loin d'être d'artificielles réifications, puissent être considérées comme des greffons culturels qui participent à cette recomposition, augmentant à chaque fois la complexité réticulaire des territoires musicaux.

 

10. LAFARGUE DE GRANGENEUVE Loïc

Chercheur associé à l’Institut des Sciences sociales du Politique (ISP)

Le développement du hip-hop dans deux métropoles du sud de la France : analyse comparée du rôle des variables ethniques, politiques et géographiques

Dans cette communication, il s’agit précisément d’effectuer une analysée comparée, au niveau local, du développement du hip-hop dans certains quartiers de deux métropoles du sud de la France, afin d’étudier dans le détail le rôle des variables ethniques, politiques et géographiques dans ce processus, de manière à rendre compte des différences observées sur le terrain. L’enquête porte sur les stratégies mises en place par trois types de municipalités : une ville-centre, Bordeaux, dont le budget a longtemps fait la part belle à la culture ; les communes de la rive droite de l’agglomération bordelaise (Bassens, Cenon, Lormont, Floirac), qui représentent une banlieue stigmatisée ; une grande ville sans véritable banlieue et qui traîne de longue date une réputation plutôt défavorable : Marseille. Dans les années 1990, toutes ces municipalités se lancent dans une politique de reconnaissance de la culture hip-hop destinée à traiter les problèmes sociaux urbains, mais avec des stratégies très différentes. Les résultats sont les suivants : si la couleur politique se révèle une variable secondaire, ce qui apparaît déterminant, en revanche, c’est bien plutôt la combinaison de plusieurs variables que sont les caractéristiques socio-démographiques de la population, l’identité de la ville, et la situation géographique et administrative de celle-ci au sein de la métropole concernée. Ainsi, Bordeaux est une ville où l’immigration est traditionnellement faible, sans être pour autant négligeable en raison de la taille de la commune ; celle-ci possède aussi quelques quartiers stigmatisés localement. La municipalité intègre ainsi le hip-hop à sa politique culturelle, tout en cherchant à ce que celui-ci ne remette pas fondamentalement en cause l’identité de la ville, mais contribue au contraire à lui donner un nouvel élan : en tant que ville-centre, Bordeaux peut en effet se permettre d’afficher une grande diversité de formes d’expression sans risquer pour son image. À Marseille, dans une ville populaire où l’immigration a un poids très important et contribue largement à définir son identité, la municipalité doit tenir compte de la présence de quartiers stigmatisés au niveau national sur le territoire de la commune, car cette stigmatisation a des effets sur l’image de la ville dans son ensemble : Marseille ne peut pas externaliser ses problèmes. Or, Marseille possède une identité locale positive extrêmement forte, que la mairie fait sienne et utilise comme ressource pour réhabiliter son image de marque : le soutien apporté à la culture hip-hop s’inscrit dans ce cadre. Sur la rive droite de l’agglomération bordelaise, où l’immigration et les catégories populaires sont également assez importantes, une série d’actions autour du hip-hop est mise en œuvre ; mais ce territoire stigmatisé est séparé administrativement de la ville-centre, et son identité est essentiellement définie de façon exogène et négative, du point de vue de cette ville-centre. Les limites de la politique menée vis-à-vis du hip-hop s’expliquent donc par une situation de dépendance, qui n’incite pas les maires de la rive droite à inscrire davantage le hip-hop dans l’image du territoire qu’ils entendent promouvoir.        

 

11  Legrain Laurent

Université Libre de Bruxelles
Centre d’anthropologie culturelle

Rengaine discursive et rupture de l’expérience
Les métamorphoses de la musique et des territoires dans un district rural de la Mongolie contemporaine.
 

Cet article met l’accent sur les pratiques par lesquelles, dans un district excentré de Mongolie, des représentations, des objets, des dispositifs lient la musique aux territoires par une trame qui, dans chaque situation est remise sur le métier. La notion de territoire sera ici entendue dans une définition large comme le lieu qu’un ou plusieurs groupes sociaux définissent, investissent et pratiquent. L’hypothèse générale qui jalonne le parcours sur lequel je vais vous entraîner est la suivante : sous l’apparence d’un discours très homogène le lien qui lie la nature et la musique va subir de profondes métamorphoses qui vont retisser la trame qui unit musique et territoire. Entre son indéniable origine chamanique et sa reprise politique à l’heure du deuxième mouvement de collectivisation des élevages ruraux dans les années cinquante, le discours pourtant resté similaire (bien que de plus en plus fixé dans des formes convenues)  a changé de support expérientiel, entraînant avec lui des changements dans l’appréhension des territoires et de la musique. Cependant lire clairement cette thèse implique de souligner un élément. La trame chamanique, dont je m’attacherai à montrer les nœuds dans la deuxième section de cet article, tout en ne correspondant évidemment pas à celle mise en place dans la vision socialiste (section trois), peut s’y fondre jusqu’à devenir acceptable, tout en restant opérante. La trame socialiste tout en prenant les précautions nécessaires à laïciser la première réintroduira dans la division territoriale un autre type de diversité.

12. MOULARD-KOUKA Sophie 

Doctorante en sociologie, université de Bordeaux 2. 

Le rap à Dakar comme mise en scène de territorialités multiples :
mise en perspective du local et du global dans une culture populaire urbaine au Sénégal.
 

La notion de territoire, contrairement à celle d’espace, renvoie à l’idée d’identité, voire de communauté. La culture hip hop (dont le rap est l’expression musicale et discursive), puise abondamment dans le registre des identités territoriales. Dans le cas du rap dakarois, nous retrouvons ces mêmes types d’échelles territoriales, élaborées et mises en scène selon des modes qui font à la fois référence à la culture hip hop internationale et à l’histoire propre à la société sénégalaise contemporaine. L’étude des textes de rap et les discours des rappeurs (relevés en situation d’enquête) fait apparaître le fort sentiment d’appartenance de ces derniers à une communauté territoriale élargie, à savoir celle de la communauté noire à travers le monde. La culture hip hop s’épanouirait ainsi selon un modèle proche du rhizome deleuzien, caractérisée par des ramifications libres de toute origine ou hiérarchie. Mais la notion de territoire dans le rap sénégalais s’exprime avant tout à travers d’une part la représentation du quartier, et d’autre part un clivage ville/banlieue très prégnant. Ces frontières, que l’on retrouve partout, revêtent pourtant ici des caractéristiques bien particulières. Le rap engagé, dit hardcore, cherche sa légitimation dans l’appartenance au ghetto, et notamment aux banlieues déshéritées de Pikine, Guédiawaye ou Thiaroye ; par ailleurs, chaque groupe ou crew s’identifie à son quartier d’origine, qu’il souhaite représenter. Le « territoire national » cher à Senghor est relégué au second plan, voire rejeté au profit d’une identité locale recentrée sur le quartier. Il s’agit donc d’analyser selon quels modes cette territorialité s’exprime, et ce qu’elle signifie pour les jeunes Dakarois aujourd’hui.

 

13  Pecqueux Anthony 

Chercheur en post-doctorat à FranceTélécom R&D
Laboratoire SUSI

Ecoute musicale et NTIC :
Ce que  la mobilité urbaine fait à l’écoute de la musique

                 Cette communication vise à croiser écoute musicale et mobilité urbaine, et pour cela procédera en deux temps. D’une part, je chercherai à baliser une série de questions à la fois théoriques et méthodologiques – qu’est-ce que les nouveaux objets (qui ont tous à voir avec la portabilité de la musique : lecteur MP3, téléphone portable, etc.), et spécialement leurs usages mobiles font à l’écoute de la musique ? D’autre part, je proposerai quelques descriptions situées de ces usages – descriptions de situations d’écoute mobile au sein d’espaces urbains, afin d’achever de montrer que, si ces objets obligent à l’innovation méthodologique, ils ouvrent ainsi tout un champ de perspectives nouvelles sur l’espace, la musique et leurs accomplissements croisés.

Questions

                Si l’histoire culturelle proposée par Sophie Maisonneuve montre combien l’introduction du gramophone a transformé notre écoute de la musique ; si, quant à elle, l’histoire musicale de Peter Szendy s’attache à retracer également comment l’écoute contemporaine s’est progressivement mise en place, par exemple à travers la figure du D.J. considéré comme un auditeur par excellence ; il faut désormais prendre acte de l’introduction et de la diffusion rapides des N.T.I.C. ces dernières années. Celles-ci obligent en effet à repenser nos cadres d’appréhension de la musique, de ce qui compte pour une expérience musicale. Pour ne prendre qu’un exemple : quelles sont les conséquences pour les concerts que des spectateurs fassent entendre par mobile interposé tout ou partie d’un concert, à un interlocuteur-auditeur ? Assurément, de tels usages des NTIC contribuent à redistribuer les rôles : avec le dernier exemple, on comprend qu’il n’y a plus seulement, et classiquement, des spectateurs et des artistes (et personnels de renfort, programmateurs, etc.) à un concert, mais également des « auditeurs ». Appliqué aux situations de mobilité urbaine, et aux objets qui permettent d’y réaliser une expérience musicale (naguère walkman, désormais ipod et autres baladeurs mp3, et de plus en plus le téléphone portable) : un premier ensemble de questions porte sur les formes de sociabilité que ce type d’écoute musicale permet ou empêche. Au-delà des parcours que réalisent les fichiers numériques d’un appareil à l’autre, c’est la possibilité ouverte d’écouter à plusieurs (doubles oreillettes ; ou chacun une oreillette ; ou écoute à partir de la fonction haut-parleur) : de réaliser localement une sociabilité limitée, et construite sans voire contre les autres agents sociaux présents à la situation. Un second ensemble de questions concerne les liens réciproques entre musique et mobilité (espace). Qu’est-ce que cela fait à l’écoute musicale d’être accomplie dans une phase de mobilité urbaine ? En retour : qu’est-ce que cela fait à l’espace d’être parcouru par des agents qui écoutent de la musique ?

Situations

                C’est ce deuxième ensemble de question que je compte aborder plus particulièrement lors de cette communication, en présentant quelques situations où se distinguent les effets de l’espace sur la musique et ceux de la musique sur l’espace, à partir de données recueillies selon deux modalités. Tout d’abord, le suivi ethnographique d’usagers le long de leur écoute musicale mobile ; et pendant ce suivi, j’ai procédé avec eux régulièrement à des moments d’explicitation et de commentaires sur leurs trajets et actions, selon la méthode des parcours commentés (je renvoie à ce propos aux travaux de Jean-Paul Thibaud). L’exposé de cette solution méthodologique pour aborder l’écoute au casque et aux oreillettes, à travers quelques descriptions situées, montrera les multiples voies et questions ouvertes par de telles préoccupations sur l’expérience musicale en situation de mobilité.

  

14      PENDANX marie 

Territoires musicaux et inspirations hispaniques :
bandas du Sud-Ouest et peñas musicales du Sud-Est
 

Mes travaux de recherche à propos du phénomène banda (dans les Landes) m’ont amené à m’intéresser à la manière dont ces groupes de musiciens mobiles qui animent les fêtes en s’inspirant de la culture espagnole représentent des lieux et des territoires. En tant que groupes de pratiques culturelles, les bandas se sont constituées à partir d’héritages de traditions locales et extra frontalières. Sur un fond initial constitué de traditions festives, taurines et musicales se sont greffés d’autres éléments essentiels venus principalement d’Espagne (feria, San Fermin, peñas et txarangas de Pampelune). J’ai pu ainsi mesurer combien la musique, associée à un territoire, peut contribuer au développement d’idéologies et d’imaginaires territoriaux. L’Espagne constitue effectivement le modèle dont toute fête méridionale s’inspire mais ces éléments importés sont re-signifiés dans un contexte local. Cette attractivité du modèle espagnol se retrouve d’ailleurs dans tout le Sud de la Espagne à travers la feria notamment. Pour autant, les emprunts d’éléments à la tradition hispanique sont différents entre le Sud-Ouest et le Sud-Est de la Espagne. Cette tradition festive est continuellement revisitée et des adaptations aux réalités locales sont observables tant en tauromachie que dans les pratiques musicales. Dans le Sud-Ouest, les bandas témoignent de l’utilisation de musiques vivantes espagnoles, elles se distinguent des harmonies (orchestres composés uniquement d’instruments à vent et de percussions) par leurs activités, leur tenue et leur répertoire d’inspiration basco-navarraise. Dans le Sud-Est, l’emprunt à la tradition hispanique est différent, il se nourrit d’une Espagne andalouse. Aussi la distinction banda / harmonie caractéristique du Sud-Ouest de la Espagne ne se retrouve pas dans le Sud-Est où l’on distingue les peñas (musicales) et les fanfares. Une peña, en tant que formation musicale du Sud-Est, est un groupe de 15-20 musiciens confirmés, rémunérés qui peuvent défiler tout en jouant et dont la base du répertoire est la musique taurine. Ces peñas musicales se produisent dans le milieu de la corrida ainsi que pour la bouvine et autres fêtes votives. A l’inverse, la fanfare est un groupe de 15-20 musiciens amateurs, avec un répertoire différent, relevant plus de la variété internationale, et qui ne se déplacent pas en jouant. Ces groupes de musiciens se caractérisent par un aspect tradition et un aspect mode d’inspiration. D’une part, les bandas s’inscrivent dans toute une culture locale centrée sur la tauromachie et la feria. D’autre part, ces groupes locaux s’inspirent de l’Espagne et profitent des effets de proximité du Pays Basque. De même, les peñas musicales du Sud-Est se caractérisent par une inspiration espagnole mais à caractère méditerranéen. La musique participe ainsi à la construction de territoires. Un dépassement de la localité s’opère par les inspirations de la fête, par les influences culturelles extérieures notamment hispaniques mais cette ouverture se réalise dans un contexte particulier, la musique s’insérant dans des réalités locales.

 

15. ROUGIER Thierry 

Docteur en anthropologie
Professeur certifié de musique
IUT Michel de Montaigne, Université de Bordeaux 3
 

Les chansonniers improvisateurs du Nordeste brésilien : une parole en mouvement pour une société en voie de transition

Une recherche initiée il y a une quinzaine d’années sur les musiques populaires et les littératures orales au Brésil m’a conduit étudier les chansonniers improvisateurs du Nordeste. Les enquêtes sur ces poètes porteurs d’une tradition singulière, menées entre 1998 et 2002, ont donné lieu à une thèse de doctorat en ethnologie – sous la direction de M. Sory Camara, thèse soutenue en mars 2006 à l’Université de Bordeaux 2 – puis à la publication des enregistrements réalisés sur le terrain (C.D. « Repentistas nordestinos, troubadours actuels du Nordeste du Brésil », en collaboration avec Daniel Loddo, CORDAE 2006).La cantoria est une tradition orale particulière au Nordeste du Brésil. Des poètes chantent devant un auditoire de passionnés de poésie en s’accompagnant sur leurs violas, sortes de guitares à cordes métalliques. Ce qu’ils disent dans leurs poèmes, toujours produits à deux auteurs dans l’alternance des strophes, est entièrement improvisé. Ils sont à ce titre repentistas, maîtres du repente (en portugais, de repente veut dire soudain, survenant tout à coup). Les auditeurs jouent un rôle actif dans une session de poésie improvisée en proposant des thèmes à développer et des refrains versifiés aux poètes. Ceux-ci doivent maîtriser de nombreuses formes poétiques complexes en évolution constante, tout en montrant une bonne connaissance des sujets généraux et des questions d’actualité, ainsi qu’un esprit de répartie qui ne peut être pris en défaut, du fait de l’émulation qui caractérise ces rencontres. Il existe des milliers de cantadores dans le Nordeste, vivant de leur art populaire parmi leurs concitoyens. Le cantador, d’après le sens qu’a ce terme en portugais, est à la fois un chanteur populaire et un chansonnier. En effet, son esprit critique inspire ses propos souvent satiriques ; ses poèmes improvisés commentent les mutations de la société et dénoncent les abus du pouvoir ; ses performances orales s’accomplissent au gré de ses déplacements constants, dans des contextes variés. À plusieurs titres, le cas des cantadores peut intéresser les problématiques posées lors de la journée « Géographie – Musiques ». Tout d’abord, la mobilité des chansonniers, en déplacement constant à la rencontre d’un public toujours différent, est liée aux particularités territoriales et démographiques du Nordeste : émigrations et exodes sont récurrents, dans un contexte de sécheresses périodiques, de violence sociale, et plus récemment d’urbanisation effrénée. Cette mobilité remarquable est aussi celle de leur esprit d’improvisateurs, structuré par la faculté d’adaptation, le sens de la répartie et la verve critique. Définissant un espace culturel qui s’étend bien au-delà du territoire originel (le sertão semi-désertique, berceau de la tradition), jusqu’aux mégapoles du sud du pays où les Nordestins émigrent en masse, la parole des chansonniers est un « géo-indicateur » des mobilités sociales. Ensuite, il apparaît que les espaces de productions de la poésie improvisée sont produits par les poètes eux-mêmes et par les plus dévoués de leurs admirateurs, en général sans aucun soutien des politiques – les autorités et les médias dominants (les télévisions) se méfient de la parole satirique de ces chansonniers incontrôlables. Cette co-production par les artistes et les usagers est caractéristique d’une culture populaire, elle se traduit par la « conquête » de nouveaux espaces d’expression : radios, studios d’enregistrements, festivals et congrès qui sont des concours d’improvisateurs. Les chansonniers actuels (dont le niveau scolaire et social s’élève, dont le nombre croît et dont la profession se développe) montrent une dynamique qui en l’occurrence ne doit rien aux politiques publiques.Enfin, d’un point de vue psychologique, les cantadores sont pour leurs auditeurs les catalyseurs d’une identité mouvante, dont la construction est problématique dans une société en voie de transition. Ils représentent un modèle transitoire, du fait du caractère continuellement renouvelé des poèmes qu’ils chantent, où le seul élément constant est la musique monotone des violas qui soutiennent l’inspiration. Ces maîtres de l’improvisation montrent dans leur art que leur modèle est le changement, proposant une identification à une tradition séculaire mais en constante évolution, cristallisant un imaginaire territorial en perpétuelle redéfinition.

 

16 Rouzé Vincent 

Docteur en Sciences de l’Information et de la Communication,
Chercheur associé au CEMTI (Université Paris 8, France) et à la MSH Paris Nord
 

A l’écoute de ces ambiances sonores fondatrices de territoires sonores éphémères

 Dans le cadre de cette communication, je propose de m’appuyer sur un parcours urbain quotidien (Paris) pour questionner les notions de territoire, d’espace et de lieu.  L’enjeu est de comprendre comment la musique (jouée ou diffusée au quotidien) et plus globalement les ambiances sonores participent de la création de territoires sonores éphémères. Ce parcours ordinaire et quotidien commencera par la place des fêtes (19ème Arrondissement) à l’heure du marché le dimanche matin (comparaison avec d’autres moments de la semaine) où se mêlent cris des vendeurs, discussions, un orgue de barbarie. Ensuite, nous prendrons le métro jusqu’à la station République (11ème Arrondissement) où au fond d’un couloir de correspondance entre en résonance les pas pressés, les mélodies d’une harpiste et les bruits machiniques des rames. Enfin, nous continuerons jusqu’à Châtelet les Halles. En remontant vers ce vaste espace commercial, nous  circulerons dans ce labyrinthe sonore mélangeant musiques diffusées dans les couloirs, musiques de magasins et paroles momentanées. Enfin nous terminerons par l’esplanade devant le centre Beaubourg : croisements de piétons (touristes, habitants), de marchands « à la sauvette », de portraitistes, de musiciens et autres artistes de rue… Cette ethnographie « cartographique » d’un parcours sonore quotidien vise à illustrer des questions centrales concernant les rapports existants entre musique et territoire. Comment les bruits participent-ils de l’identité d’un lieu ? Comment sont-ils vécus ? Que représentent-ils ? Ensuite, les collectivités locales, dans leur volonté de « gérer » la pollution sonore, ne contribuent-elles pas à remodeler les espaces et effaçant ainsi les caractéristiques « éphémères » qui les rendent originales ? Les réflexions menées actuellement sur la pollution sonore et sur l’identité sonore urbaine, comme celle menée à Nantes par Alain Léobon il y a quelques années, offrent des éléments de réponses. Enfin, on pourra se demander dans quelle mesure la diffusion de musiques dans certains lieux publics n’est pas un signe de consensus social ? Car au fond, cette imposition d’un flux sonore continu n’est-il pas emblématique de cette paradoxale société de communication abhorrant le silence et le bruit mais où on ne peut plus ne plus communiquer?

  

17  VAILLANT Anais 

Doctorante en anthropologie, université de Provence 

Les territoires de la « batucada » :
Des quartiers brésiliens aux fêtes municipales en France

 Au Brésil, une batucada désigne à la fois un rassemblement spontané et informel de percussionnistes, le moment où la musique est jouée, ainsi que la musique elle-même. Les rythmes de batucadas sont multiples mais peuvent être regroupés dans des familles musicales a priori proprement brésiliennes comme par exemple le samba, l’afoxé ou encore le maracatu. Nous observons en Europe, depuis une vingtaine d’année, de nombreuses « batucadas » dans les manifestations, festivals et fêtes publiques. Cette communication présentera dans un premier temps trois exemples de musiques brésiliennes territorialisées à la fois par les politiques culturelles régionales, les Brésiliens et les touristes : le samba à Rio de Janeiro, le samba-reggae à Salvador et le maracatu à Recife. Cette régionalisation des musiques brésiliennes participe paradoxalement d’une idéologie fédérale d’unité nationale en masquant quelque peu les territoires d’origine de ces musiques « populaires », les quartiers périphériques et défavorisés. La circulation de certaines musiques du religieux vers le profane, de la périphérie vers le centre-ville, de la rue vers la scène, leur donne une visibilité et une audience accrues, hors de leurs territoires d’origine.Dans une seconde partie, nous aborderons l’appropriation de ces musiques en Europe et l’évolution de leur statut à travers le déplacement progressif des espaces de jeu des batucadas notamment en France. Nous verrons comment les groupes de percussionnistes amateurs participent volontairement ou non à une institutionnalisation de la batucada, en s’intégrant peu à peu au paysage culturel local, parfois au même titre que les orphéons, fanfares et formations de musiques « traditionnelle ». Si les percussionnistes amateurs des batucadas mettent en pratique des rythmes exotiques, c’est principalement parce qu’ils découlent d’une tradition orale et qu’ils sont donc transmis loin des autorités musicales institutionnelles. Pourtant, les institutions culturelles françaises tentent de tracer des contours formels aux pratiques culturelles « exotiques », de plus en plus visibles et démocratisées que ce soit en milieu urbain ou rural. Malgré l’absence actuelle de critères institutionnels d’évaluation et de professionnalisation, les collectivités publiques n’hésitent pas à employer des batucadas pour les fêtes patronales ou de quartier. Les musiques brésiliennes qui nous intéressent ici traversent alors des territoires économiquement et culturellement différents, jouées simultanément au cœur de pratiques informelles ou institutionnalisées, et nous interrogent sur les nouveaux territoires musicaux, réels ou imaginés, qui se dessinent aujourd’hui.

 

18 ZENEIDI Djemila

Chercheure ADES-CNRS
Equipe Tempos

Punk musique populaire, territoire populaire ?

L’objectif de cette proposition de communication est de présenter un des développements du mouvement punk actuel, tel qu’il se déploie dans des lieux en marge. Il donne à lire une configuration territoriale originale à l’aune de laquelle on peut lire une reformulation de la notion de catégorie du populaire. La notion de musique populaire est une notion très présente dans la littérature des cultural studies. A partir de résultats issus d’une recherche interdisciplinaire associant géographie socio-culturelle et anthropologie.  Il s’agit de discuter de sa pertinence et de voir en quoi elle peut éclairer une construction territoriale propre à ce mouvement musical. La problématique du punk relève à notre sens d’une entreprise culturelle et politique basée sur une  tentative de déconstruire des territoires, d’en invalider certains, ceux de la société dominante (mainstream society) et d’en valoriser d’autres ceux supposés ou réels du populaire. Le premier ancrage territorial du mouvement punk est celui des métropoles nord américaines et européennes. Ce mouvement musical et idéologique est  né au début des années 70, à Londres, New York, Washington DC, et Détroit. On dit que les américains inventèrent le style musical, et que les britanniques en formalisèrent le contenu politique (O’Hara, 1999). Dès le départ, il est défini comme un mouvement contestataire sur différents plans, artistique, social ou politique. Les fondateurs de cette vogue se opposés au courant hippie de Woodstock et à leur rock jugé trop lisse mais ont également amorcé la critique à tout un système social jugé inique. Le punk a été crée et porté principalement par une jeunesse issue du milieu ouvrier dans un contexte de crise de l’emploi. Le mouvement existe encore dans des réseaux invisibles à l’observateur extérieur. Dans de nombreux pays post industriels, en Amérique du nord, et en Europe à l’Ouest comme à l’Est, des jeunes issus pour la plupart des classes populaires se réunissent pour faire vivre le mouvement. Trente ans plus tard, on observe une diffusion dans des espaces appartenant à d’autres aires culturelles et ce non sans une certaine hybridité et plasticité. Cet ancrage se réalise toujours dans des territoires de sociétés modernes urbaines et occidentalisées et en particulier dans des espaces en marge (rue, squats).

 

 
     

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