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1 Aussaguel
François
Etudiant en Master 2 Recherche Université Paul Valery Montpellier 3
La production
d’un événement culturel :
dynamiques spatiales et stratégies d’acteurs.
L’exemple du Hellfest
Un peu partout en Europe,
à partir du mois juin, depuis fort longtemps des événements musicaux
envahissent les territoires et une géographie aux sonorités metalliques
s’esquisse. Grasspop Metal Meeting à Dessel (Belgique) ; Download à
Donington (Angleterre) ; Rock Am Ring à NürburgRing/Eifel (Allemagne) ;
Wacken Open Air à Wacken (Allemagne) ; Gods Of Metal à Milan (Italie) ;
Dynamo Open Air à Eindhoven (Pays Bas) ; Tuska Open Air à Helsinki
(Finlande), Rock in Rio à Lisbonne (Portugal) ; etc.…
La France, malgré un
retard important, s’installe dans le circuit des festivals européens de
musiques extrêmes. Clisson, une petite ville de Loire Atlantique située
à une vingtaine de kilomètres au sud-est de Nantes, se prépare à
accueillir pour la seconde fois le Hellfest. L’édition 2006 a été
prometteuse pour ce premier festival français dédié entièrement au genre
musical que l’on appelle metal. Il a réuni sur trois jours 73 groupes
(dont 12 français) et prés de 22 000 spectateurs (dont 20 % d’étranger).
Quels sont les types
d’espaces qui émergent de l’action des organisateurs du festival ?
Comment se construisent et s’agencent ces espaces et comment sont-ils
vécus par les différents acteurs (élus locaux, artistes, public,
techniciens, organisateurs). Il s’agira de saisir l’espace « en action
dans l’action » (Lussault, 2003), de comprendre comment s’articulent les
jeux d’acteurs autour de la production et l’organisation d’un festival ?
Quels sont les possibles du local, les enjeux du global, comment se
combinent les actions et les interactions à plusieurs niveaux
d’échelles ? En tant que festival, Le Hellfest se trouve par définition
en décalage par rapport aux manifestations culturelles habituelles (Gravari-Barbas,
Veschambre, 2005).De plus, en célébrant une musique comme le metal,
l’effort de justification pour faire accepter la manifestation devient
plus rude. En effet, en France ce genre musical est systématiquement
laissé en marge par les radios et les émissions de télévision « grand
public », l’impact du discours sur le metal véhiculé par les médias est
important, il influe sur les représentations. Nous tenterons de
comprendre les compromis et la ligne de conduite adoptés par les acteurs
en suivant une posture interactionniste (Becker, 1963, 1988) qui analyse
le fruit du travail des opérateurs comme une construction interactive
avec leur environnement.
2 BERU Laurent
Université Paris III -
Sorbonne Nouvelle
Département de
communication
Centre de recherche
C.H.R.I.M.E.
La “glocalité” du rap engagé.
Une dissémination mondiale sur des critères
socio-spatiaux,
socio-ethniques et socio-économiques.
Nous montrerons comment et
pourquoi une logique socio-musicale mondiale s’est créée à partir de
propriétés socio-musicales nationales (américaines). Nous verrons que
ces propriétés locales, ancrées dans les classes populaires les plus
modestes, chez les populations ethniques les plus stigmatisées et,
surtout, les territoires les plus pauvres, ont influencé des
particularités socio-musicales nationales de pays très diverses (en
France et au Brésil), et généré des particularités socio-musicales
globales. Nous prendrons, comme principaux exemples, l’agglomération de
Paris, de Sao Paulo et de Los Angeles (…) Les spécificités
socio-territoriales de chaque nation peuvent être plus ou moins
interprétées et comprises à partir d’une même grille de lecture
(celle-ci exposant une logique sociale simpliste mais réelle) : scission
entre dominants des classes aisées et dominés des classes modestes.
Qu’ils soient citoyens du Brésil, des Etats-Unis ou de France, ceux que
le sociologue Loïc Wacquant nomme les « parias urbains » connaissent,
bien évidemment à des degrés divers, un déclassement et une exclusion :
la situation sociale de ces déclassés-exclus s’exprime, d’abord et avant
tout, par l’assignation spatiale (dans les favelas brésiliennes, les
ghettos américains ou les cités françaises). L’éclosion du rap a été
facilitée par le fait que ce genre musical soit né, en grande partie,
d’un détonnant cocktail alliant exclusion sociale et explosion de la
violence, et précisément dans les territoires populaires. Aux Etats-Unis
ce sont les minorités ethniques qui ont créées et se sont accaparées le
mouvement culturel qu’est le hip hop et sa discipline musicale le rap
(afro-américains et hispano-américains). Du côté Est de l’Atlantique, ce
sont principalement les français d’origine maghrébine et subsaharienne
qui ont bâti le rap hexagonal. (…). Nous pouvons reconnaître l’existence
d’une logique socioculturelle qui veut que certains instruments à
musique, genres musicaux ou danses soient assignés à des territoires et
représentatifs de leur population (…). Dans la perspective d’animer et
de promouvoir l’identité de l’espace dont ils ont la charge, les
responsables municipaux des banlieues populaires des grandes
agglomérations françaises tendent à s’appuyer sur les forces
socio-culturelles et les atouts socio-ethniques des cités.
3. BOUTOUYRIE Eric
Docteur en géographie,
Ater à l’Université d’Artois.
La fête techno comme couturière de lieux contemporains
(de loisirs) :
l’exemple des parties trance.
En prenant appui sur les
récents développements d’une géographie soucieuse des affects et des
dimensions culturelles de nos sociétés post-industrielles, cette
contribution présentera une dimension socio-spatiale encore fort peu
connue des études ayant trait à la fête et à la nuit : les parties
trance.Il s’agira de montrer comment des pratiques festives associées à
la musique techno, en l’occurrence celles du courant psychedelic trance
(appelé parfois « goatrance »), donnent naissance à des lieux singuliers
et éphémères structurés par un ensemble d’activités de loisirs (au
premier rang desquels la danse et les rencontres) dans l’espace-temps du
tourisme. Ces sociabilités musicales, bien souvent nocturnes mais pas
exclusivement, donnant lieu à l’émergence de territorialités et de
territoires sous le couvert de ce que l’on est en droit d’appeler une « artialisation
répétitive » (globalisation d’une mise en art de lieux). En effet, il
semble que cette manière d’habiter les lieux se reproduisent aux quatre
coins du monde, de l’Afrique du Sud à l’Inde, en passant par le Brésil
ou bien le Japon. Afin de mettre en évidence ces quelques aspects
problématiques, nous prendrons appui sur l’étude de deux évènements
majeurs de ce courant musical. Le festival allemand « Voov Experience »
qui réunit tous les ans environ 12000 personnes pendant trois jours dans
un champ de la petite commune de Pütlizt (Brandenbourg), et le « Boom
Festival », au Portugal, manifestation ayant attiré en août 2004 plus de
20000 personnes sur les rives d’un lac à quelques kilomètres de la
commune d’Idanha-a-Nova (région du Beixa). On pourra, entre autres, se
demander quels sens revêtent ces établissements humains dont
l’attraction dépasse largement les frontières européennes ? Qu’est-ce
que les participants y recherchent ? Ces festivités, portées par des
créations artistiques (musique, peinture, arts de la rue, art vidéo,
etc.), ne sont-elles pas une tentative pour fonder une forme de Paradis,
une sorte d’Utopie dans une tension entre urbanité et ruralité ? La
fête, ici, n’est-elle pas le prétexte à la création d’une nouvelle forme
d’être ensemble autour de la musique et de ses effets ?
4
Canova Nicolas
Doctorant à l’Institut de
géographie alpine (IGA- Grenoble I),
La musique : du produit identitaire à la ressource
territoriale
Pour
tenter de contribuer aux travaux portant sur la géographie musicale, est
donc d’une introduction spatialisante de la musique comme objet d’étude
pour les sciences géographiques, nous nous proposions d’en interroger
ses dimensions identitaires pour opérer ainsi un glissement de l’espace
au territoire. (…) Le couple musique/territoire, fruit d’interrelations
complexes entre populations, pratiques culturelles et artistiques et
degré d’ouverture sur l’extérieur, nous invite avant tout à penser que
la musique vient au territoire comme la musique vient du territoire,
c’est-à-dire en passant par les paradigmes socioculturels et
identitaires propres à l’espace social. Autrement dit, il existe un lien
direct entre territoire et musique, cette dernière nécessitant de par
son essence une double inscription spatiale et territoriale. Au sens où
la musique est un produit identitaire, le territoire est donc producteur
du sens musical puisqu’il régit lui-même la dynamique identitaire.
Hors, les paradigmes du développement territorial mettent
en avant l’objet ressource comme producteur de territoire, notamment
conduit par la notion de spécificité. C’est donc en plaçant la musique
comme ressource territoriale que nous pensons démontrer sa capacité à
participer aux processus de territorialisation. Les possibilités
d’activation de la ressource, ouvertes par les mutations contemporaines,
permettent alors d’aller dans ce sens (économie et industrie de la
culture, tourisme culturel, pratiques amateurs, etc.) De plus, il semble
que l’action collective apporte une réponse positive sur l’ensemble de
ses échelles de pertinence. Reste alors à mettre en œuvre l’élaboration
d’une démarche et de sa méthodologie induite pour passer de la théorie à
la pratique. En couplant les approches nées de la collaboration entre
Monique Desroches (ethnomusicologue à l’Université de Montréal) et
Olivier Soubeyran (professeur de géographie à l’Université de Grenoble
I) sur la mise en tourisme des musiques caribéennes et la résultante des
travaux du CERMOSEM sur le développement territorial nous tenterons de
transposer la notion de ressource territoriale au flamenco. Porté par
une forte dominante identitaire, cet art est aujourd’hui sur le devant
de la scène internationale, peut-être même victime de son propre
succès. Les politiques publiques se sont approprié ce qu’elles ont
pendant longtemps rejeté pour l’inclure dans les processus de
développement du territoire andalou. Entre muséification et spectacle
vivant, patrimonialisation et créativité, folklorisation et innovation,
le flamenco est tiré par les différents acteurs qui, d’un coté le
mobilisent comme produit culturel, de l’autre comme une ressource propre
aux dimensions multiples. En nous basant alors sur les modes
d’intervention de la sphère publique et la réponse des différents
acteurs du flamenco, nous rendrons compte de l’imbrication des
différentes échelles d’action et des stratégies d’acteurs relatives à
chacune d’entre elles. En partant d’un diagnostic territorial du
flamenco, rebondissant alors sur les schèmes de l’analyse spatiale, nous
montrerons comment il est en capacité de s’inscrire dans l’action
aménagiste et le développement territorial. Cette approche
socio-territoriale pourrait notamment montrer comment le phénomène
balance entre diffusion et dispersion d’ordre mondial et ancrage
confirmé au niveau local, produisant alors de multiples
territorialités.
Nous
illustrerons notre propos avec deux exemples situés dans les villes de
Jerez-de-la-Frontera (Xeres) et Séville. Le premier, la Ciudad del
Flamenco à Jerez, est l’aménagement fortement médiatisé d’un quartier
urbain mené par les architectes Herzog et De Meuron. Le deuxième, la
Feria d’avril de Séville, est la plus grande réunion andalouse portée
par la sevillana, musique et/ou danse spécifique(s) à cette ville. Nous
pensons alors apporter une réponse à la question posée en couplant
politiques publiques et jeux d’acteurs. De l’émergence d’un style
artistique à la systémisation analogique d’une culture territorialisée,
par l’herméneutique comme mode interprétatif, le cheminement complexe de
la musique vers le territoire serait ainsi défriché pour faire
apparaître l’heuristicité de leurs liens réciproques.
5 CHERUBINI
Bernard
ISPED – Université Segalen
Bordeaux 2
UMR 5185 ADES/SSD
Métissage musical et imaginaire de la créolité.
De l’insularité réunionnaise à l’espace monde.
La diversité musicale
réunionnaise est à l’image de la diversité culturelle de l’île : un
« kaléidoscope de styles musicaux allant de la chorale au rap, en
passant obligatoirement par les formes spécifiques de l’île telles que
le sega et le maloya partagé avec les îles environnantes » (Hawkins). Si
la prolifération des styles est le reflet fidèle de la diversité
culturelle et ethnique de l’île, on peut considérer également qu’il n’y
a ni cloisonnement des différents styles musicaux, ni renferment hostile
aux apports étrangers. Un développement multiforme des genres musicaux
accompagne alors la scène musicale réunionnaise, de l’héritage le plus
classique aux mélanges savants et insolites (« malogué », « sega jazz,
etc.).
On pourrait voir dans ces
mélanges une sorte d’imaginaire de la créolité, au sens où l’identité
créole est faite d’emprunts, d’apports, de mélanges et de métissages des
cultures et des identités. Mais le fait que la musique réunionnaise, à
la différence de son homologue antillaise, semble avoir quelques
difficultés à s’extraire de son confinement insulaire, à quelques
exceptions près, pourrait traduite une tout autre façon de concevoir son
identité et son rapport à l’espace monde. Du rempli communautaire au
repli insulaire, on peut ainsi tester plusieurs hypothèses concernant le
rôle de la musique en tant que stratégie identitaire dans le
développement des territoires et des sociétés insulaires.
6. DUBUS Claire
Master 2, ENS Cachan
Le rap comme discours de connexion entre échelles
territoriales : Afrique, Amérique, France
Les discours du rap et du
hip-hop revendiquent une identité très fortement spatialisée, et
toujours double : une identité locale, celle du quartier dont on est
issu, et une identité ‘diasporique’, réticulée ou connectée, ces trois
termes étant à discuter. En cela le hip-hop est un courant qui se prête
à la réflexion géographique, notamment à une réflexion sur la notion de
territoire puisqu’une part importante du discours des rappeurs constitue
en une revendication de l’appartenance et de la filiation à des lieux,
vécus, réels ou imaginaires. Les liens entre échelles locale et globale
sont indispensables à la compréhension du rapport au territoire dans le
rap (entendu ici en tant que forme musicale normée, mais aussi forme
discursive et habitus social, culturel et éventuellement politique.) On
a affaire à une double logique, qui allie territoire en réseau -à
échelle mondiale-, et territoire local, -à échelle d’une ville ou d’un
quartier, plus rarement d’un pays. Cette double appartenance aboutit à
une distorsion fondamentale dans le mouvement rap tel qu’il se
représente sur une scène de plus en plus ouverte: les thématiques,
quoique récurrentes et transversales, portent des enjeux très différents
selon les contextes et les « filtres » (dans le sens d’Appadurai)
locaux. Inversement, bien que chaque lieu produise un style de rap
différent, (Bongo Flavour tanzanien, son de Vitry ou Ecole de Sarcelles,
gansta rap californien), certains thèmes font office de dénominateur
commun. On constate ainsi une référence constante à l’Afrique, au milieu
urbain ; une omniprésence des notions de fermeture (le ghetto et la cité
bien sûr mais pas uniquement) et de circulation; et le sentiment
d’appartenir à un réseau de communautés perçues comme opprimées,
rencontrant les mêmes difficultés sociales et politiques, et unifiées
par le port de « stigmates » visibles, à savoir la plupart du temps une
peau « non blanche ». On se propose d’étudier, à travers trois
situations différentes, ce rapport dans les discours du rap, entre
territoires locaux et territoires en réseaux. Il s’agit d’une étude
fondée sur des discours, donc des représentations. Mais le rap est un
discours à la première personne, qui met en scène un ‘je’ qui, quoique
mis en scène, est plus social que poétique; c’est d’ailleurs en cela
qu’il s’agit d’un courant profondément identitaire. On s’attachera donc
autant dans cette étude au contenu verbal et musical qu’au contexte de
locution et au locuteur lui-même. Etant donné l’étendue et la complexité
de la nébuleuse rap, on a choisi de se focaliser sur trois cas de
figures, qui illustrent chacun à leur manière l’imbrication du lieu et
du réseau dans les liens que les discours du rap peuvent entretenir avec
l’espace : (…) 1. Le rap américain et le prisme de la « question
noire. » (L’ouragan Katrina et ses conséquences). 2. Le rap français et
le prisme de la « cité. » (Les émeutes de novembre 2005 et la
remobilisation politique). 3. Le rap en Afrique et le prisme de la
connexion au monde. (2005-2006, la consécration mondiale du chanteur
sénégalais Akon). Chaque situation étudiée est issue d’un évènement
surgi à un instant T, qui fait évoluer le courant musical et ses
discours. Les grands paradigmes du rap sont présents aussi bien aux
Etats-Unis qu’en Afrique et en France; mais, dans chaque cas, une des
problématiques prend l’ascendant sur les autres, qui apparaissent alors
comme une toile de fond indispensable mais pas comme le maître mot.
Chaque cas met donc en valeur à la fois la sensibilité d’une question au
niveau local et la connexion avec les autres aires via des thématiques
et des problématiques communes et mises en réseau. Le cas du rap est
donc un cas où ce n’est pas la musique qui vient au territoire, mais où
ce sont d’abord le territoire et les lieux qui se mettent en discours et
en musique ; ils en constituent même des piliers fondamentaux, qui ont,
ensuite, pu prendre une dimension performative.
7 Goré Olivier
Docteur en géographie
Laboratoire RESO (Rennes Espaces et Sociétés) – UMR
6590
Université Rennes 2
La musique bretonne, entre régionalisme culturel et
politique publique de la culture
S’il convient
effectivement de ne pas distinguer les pratiques musicales et les
politiques publiques de la culture lorsqu’il s’agit d’expliquer
« comment la musique vient au territoire », les pratiques musicales
viennent au territoire grâce à un soutien plus ou moins affirmé des
pouvoirs publics. Reconnue en France comme un style musical à part
entière au début des années 1980, la musique traditionnelle a certes
connu une multiplication et une diversification des pratiques suite son
institutionnalisation mais sa « venue » au territoire est plus complexe.
L’inscription territoriale de la musique traditionnelle en Bretagne par
exemple, est plus le produit d’une affirmation culturelle et identitaire
que d’une volonté politique. En inventant des nouvelles formes
d’expressions (cercles celtiques, bagad) et des nouveaux espaces
d’expression (fêtes folkloriques, concours, fest-noz, festivals d’arts
et traditions populaires) les militants culturels bretons ont adaptés
les pratiques vocales et instrumentales issues de la société
traditionnelle paysanne à la société moderne. Cette modernisation des
pratiques a notamment entraîné un développement de la fonction
artistique et identitaire de la musique bretonne qui contribue
aujourd’hui à la construction symbolique de la Bretagne. Avec environ
3 000 musiciens recensés, 6 000 adhérents à la fédération Bodadeg ar
Sonerien (assemblée des sonneurs de Bretagne qui fédère une centaine de
bagad), environ 3 500 références discographiques recensées sur un siècle
de musique bretonne, une moyenne de 20 fest-noz organisés chaque semaine
et chaque année une centaine de festivals – petits et grands – dont la
programmation est essentiellement tournée vers la diffusion de la
musique bretonne, la musique est un des éléments les plus vivaces de la
culture bretonne contemporaine. Jusqu’aux années 1980, les expressions
musicales traditionnelles n’étant pas prises en compte par les
politiques publiques, la musique bretonne est venue au territoire par le
biais de la revendication culturelle. Ce dynamisme musical est une des
principales expressions du renouvellement du régionalisme culturel
d’après guerre qui n’est cependant pas sans impact politique. Néanmoins,
avec la reconnaissance institutionnelle, les liens se sont diversifiés.
Cette communication vise à montrer comment, entre régionalisme culturel
et politique publique la musique bretonne vient-elle au territoire ? La
musique bretonne bénéficie aujourd’hui d’une organisation spatiale
multiscalaire structurée par des associations culturelles plus ou moins
revendicatives issues du régionalisme culturel et par des organismes
institutionnels du secteur de la musique nés de la politique nationale
en faveur des musiques traditionnelles. Il s’agira de décrire et de
comprendre le fonctionnement de cette filière musicale traditionnelle,
basée sur un partenariat transversal, qui associe les actions de
l’ensemble des structures à une même échelle, mais aussi vertical, qui
permet aux structures des niveaux inférieurs de mettre à contribution
les moyens mis à disposition par les structures de niveau supérieur pour
exercer leurs missions, et de mesurer les effets de cette organisation
sur les territoires : la Bretagne, dans la mesure où l’homogénéisation
des pratiques à l’échelle régionale peut être un levier pour le
développement culturel du territoire (économie culturelle, tourisme
culturel, patrimoine immatériel) mais aussi sur des territoires locaux
(pays, agglomération, communautés de communes, communes), dans la
mesure où la diversification des pratiques participent à l’animation des
territoires (fonction éducative et d’animation des écoles de musique
traditionnelle, rôle d’animation des fêtes et des festivals, animation
socioculturelle des associations locales…).
8 Grassy Elsa
Doctorante Paris 4
Culture anglophone
La Nouvelle-Orléans et le jazz, un mariage de raison ?
La géographie musicale du
20ème siècle se distingue par une mondialisation des genres
contrebalancée par leur ancrage dans des localités aux dimensions
souvent mythiques. Dans l’imaginaire collectif, la Nouvelle-Orléans fait
figure de Mecque irremplaçable du jazz, à la source de tous ses
courants. Considérée comme le berceau de cette musique, elle est aussi
perçue comme l’endroit qui rend le mieux compte de l’esprit du jazz et
se pose en gardien de ses traditions. Cependant, ce couple géomusical
(comparable à ceux de la country music et de Nashville ou encore du
Delta du Mississippi et du blues) a connu bien des tensions, depuis les
articles du Times Picayune où le jazz était qualifié d’ « atrocité » et
la fermeture de Storyville en 1917 jusqu’aux politiques culturelles
erratiques des années 1960 à nos jours. La création du Parc National du
Jazz en 1994, qui de prime abord semblait couronner une relation
privilégiée entre la plus américaine des musiques et la plus festive des
villes des Etats-Unis, a mis en évidence un ensemble de tensions à
l’œuvre dans le processus d’institutionnalisation du jazz. Après les
ravages de l’ouragan Katrina, la ville se retrouve à nouveau en
chantier, sur le terrain et dans les esprits. Au terme de cette
entreprise de redéfinition, quelle sera la version de la
Nouvelle-Orléans qui en sortira victorieuse? Tout dépend de la
polyphonie qui sera tolérée dans le nouvel air de « the Big Easy ».
9 GUILLOT Gérald
Doctorant en didactique
musicale, professeur certifié de musiques actuelles
Transplantations musicales : nouveaux territoires ?
Nouvelles territorialités ?
Brésil et Bretagne à Bordeaux
Dans sa révélation
progressive de la diversité des formes musicales du monde et de leurs
intrications, l'ethnomusicologie a dû sacrifier aux contingences
ethnographiques une forme de territorialisation des phénomènes musicaux
dont elle rendait compte. Or, l'Homme n'a jamais cessé de se déplacer,
un processus aujourd'hui largement accéléré par une mondialisation qui
concerne également les musiciens : ces derniers concourent ainsi à la
transformation d'objets et espaces musicaux en recomposition permanente.
Afin d'exemplifier ces mécanismes, nous examinerons les cas de deux
émergences girondines : l'Ecole de Samba Macunaíma, et le Bagad Ker
Vourdel. Nous constaterons qu'en dépit de différences importantes a
priori (l'un d'essence brésilienne, l'autre bretonne), ces deux exemples
puissent être appréhendés avec une même approche qui en donne une
interprétation originale des conditions d'émergence, de maintien et le
cas échéant, de déclin. Nous postulerons que ces émergences, loin d'être
d'artificielles réifications, puissent être considérées comme des
greffons culturels qui participent à cette recomposition, augmentant à
chaque fois la complexité réticulaire des territoires musicaux.
10. LAFARGUE DE GRANGENEUVE Loïc
Chercheur associé à
l’Institut des Sciences sociales du Politique (ISP)
Le développement du hip-hop dans deux métropoles du
sud de la France : analyse comparée du rôle des variables ethniques,
politiques et géographiques
Dans cette communication,
il s’agit précisément d’effectuer une analysée comparée, au niveau
local, du développement du hip-hop dans certains quartiers de deux
métropoles du sud de la France, afin d’étudier dans le détail le rôle
des variables ethniques, politiques et géographiques dans ce processus,
de manière à rendre compte des différences observées sur le terrain.
L’enquête porte sur les stratégies mises en place par trois types de
municipalités : une ville-centre, Bordeaux, dont le budget a longtemps
fait la part belle à la culture ; les communes de la rive droite de
l’agglomération bordelaise (Bassens, Cenon, Lormont, Floirac), qui
représentent une banlieue stigmatisée ; une grande ville sans véritable
banlieue et qui traîne de longue date une réputation plutôt
défavorable : Marseille. Dans les années 1990, toutes ces municipalités
se lancent dans une politique de reconnaissance de la culture hip-hop
destinée à traiter les problèmes sociaux urbains, mais avec des
stratégies très différentes. Les résultats sont les suivants : si la
couleur politique se révèle une variable secondaire, ce qui apparaît
déterminant, en revanche, c’est bien plutôt la combinaison de plusieurs
variables que sont les caractéristiques socio-démographiques de la
population, l’identité de la ville, et la situation géographique et
administrative de celle-ci au sein de la métropole concernée. Ainsi,
Bordeaux est une ville où l’immigration est traditionnellement faible,
sans être pour autant négligeable en raison de la taille de la commune ;
celle-ci possède aussi quelques quartiers stigmatisés localement. La
municipalité intègre ainsi le hip-hop à sa politique culturelle, tout en
cherchant à ce que celui-ci ne remette pas fondamentalement en cause
l’identité de la ville, mais contribue au contraire à lui donner un
nouvel élan : en tant que ville-centre, Bordeaux peut en effet se
permettre d’afficher une grande diversité de formes d’expression sans
risquer pour son image. À Marseille, dans une ville populaire où
l’immigration a un poids très important et contribue largement à définir
son identité, la municipalité doit tenir compte de la présence de
quartiers stigmatisés au niveau national sur le territoire de la
commune, car cette stigmatisation a des effets sur l’image de la ville
dans son ensemble : Marseille ne peut pas externaliser ses problèmes.
Or, Marseille possède une identité locale positive extrêmement forte,
que la mairie fait sienne et utilise comme ressource pour réhabiliter
son image de marque : le soutien apporté à la culture hip-hop s’inscrit
dans ce cadre. Sur la rive droite de l’agglomération bordelaise, où
l’immigration et les catégories populaires sont également assez
importantes, une série d’actions autour du hip-hop est mise en œuvre ;
mais ce territoire stigmatisé est séparé administrativement de la
ville-centre, et son identité est essentiellement définie de façon
exogène et négative, du point de vue de cette ville-centre. Les limites
de la politique menée vis-à-vis du hip-hop s’expliquent donc par une
situation de dépendance, qui n’incite pas les maires de la rive droite à
inscrire davantage le hip-hop dans l’image du territoire qu’ils
entendent promouvoir.
11 Legrain Laurent
Université Libre de
Bruxelles
Centre d’anthropologie
culturelle
Rengaine discursive et rupture de l’expérience
Les métamorphoses de la musique et des territoires
dans un district rural de la Mongolie contemporaine.
Cet article met l’accent
sur les pratiques par lesquelles, dans un district excentré de Mongolie,
des représentations, des objets, des dispositifs lient la musique aux
territoires par une trame qui, dans chaque situation est remise sur le
métier. La notion de territoire sera ici entendue dans une définition
large comme le lieu qu’un ou plusieurs groupes sociaux définissent,
investissent et pratiquent. L’hypothèse générale qui jalonne le parcours
sur lequel je vais vous entraîner est la suivante : sous l’apparence
d’un discours très homogène le lien qui lie la nature et la musique va
subir de profondes métamorphoses qui vont retisser la trame qui unit
musique et territoire. Entre son indéniable origine chamanique et sa
reprise politique à l’heure du deuxième mouvement de collectivisation
des élevages ruraux dans les années cinquante, le discours pourtant
resté similaire (bien que de plus en plus fixé dans des formes
convenues) a changé de support expérientiel, entraînant avec lui des
changements dans l’appréhension des territoires et de la musique.
Cependant lire clairement cette thèse implique de souligner un élément.
La trame chamanique, dont je m’attacherai à montrer les nœuds dans la
deuxième section de cet article, tout en ne correspondant évidemment pas
à celle mise en place dans la vision socialiste (section trois), peut
s’y fondre jusqu’à devenir acceptable, tout en restant opérante. La
trame socialiste tout en prenant les précautions nécessaires à laïciser
la première réintroduira dans la division territoriale un autre type de
diversité.
12. MOULARD-KOUKA Sophie
Doctorante en sociologie,
université de Bordeaux 2.
Le rap à Dakar comme mise en scène de territorialités
multiples :
mise en perspective du local et du global dans une
culture populaire urbaine au Sénégal.
La notion de territoire,
contrairement à celle d’espace, renvoie à l’idée d’identité, voire de
communauté. La culture hip hop (dont le rap est l’expression musicale et
discursive), puise abondamment dans le registre des identités
territoriales. Dans le cas du rap dakarois, nous retrouvons ces mêmes
types d’échelles territoriales, élaborées et mises en scène selon des
modes qui font à la fois référence à la culture hip hop internationale
et à l’histoire propre à la société sénégalaise contemporaine. L’étude
des textes de rap et les discours des rappeurs (relevés en situation
d’enquête) fait apparaître le fort sentiment d’appartenance de ces
derniers à une communauté territoriale élargie, à savoir celle de la
communauté noire à travers le monde. La culture hip hop s’épanouirait
ainsi selon un modèle proche du rhizome deleuzien, caractérisée par des
ramifications libres de toute origine ou hiérarchie. Mais la notion de
territoire dans le rap sénégalais s’exprime avant tout à travers d’une
part la représentation du quartier, et d’autre part un clivage
ville/banlieue très prégnant. Ces frontières, que l’on retrouve partout,
revêtent pourtant ici des caractéristiques bien particulières. Le rap
engagé, dit hardcore, cherche sa légitimation dans l’appartenance au
ghetto, et notamment aux banlieues déshéritées de Pikine, Guédiawaye ou
Thiaroye ; par ailleurs, chaque groupe ou crew s’identifie à son
quartier d’origine, qu’il souhaite représenter. Le « territoire
national » cher à Senghor est relégué au second plan, voire rejeté au
profit d’une identité locale recentrée sur le quartier. Il s’agit donc
d’analyser selon quels modes cette territorialité s’exprime, et ce
qu’elle signifie pour les jeunes Dakarois aujourd’hui.
13 Pecqueux Anthony
Chercheur en post-doctorat
à FranceTélécom R&D
Laboratoire SUSI
Ecoute musicale et NTIC :
Ce que la mobilité urbaine fait à l’écoute de la
musique
Cette
communication vise à croiser écoute musicale et mobilité urbaine, et
pour cela procédera en deux temps. D’une part, je chercherai à baliser
une série de questions à la fois théoriques et méthodologiques –
qu’est-ce que les nouveaux objets (qui ont tous à voir avec la
portabilité de la musique : lecteur MP3, téléphone portable, etc.), et
spécialement leurs usages mobiles font à l’écoute de la musique ?
D’autre part, je proposerai quelques descriptions situées de ces usages
– descriptions de situations d’écoute mobile au sein d’espaces urbains,
afin d’achever de montrer que, si ces objets obligent à l’innovation
méthodologique, ils ouvrent ainsi tout un champ de perspectives
nouvelles sur l’espace, la musique et leurs accomplissements croisés.
Questions
Si
l’histoire culturelle proposée par Sophie Maisonneuve montre combien
l’introduction du gramophone a transformé notre écoute de la musique ;
si, quant à elle, l’histoire musicale de Peter Szendy s’attache à
retracer également comment l’écoute contemporaine s’est progressivement
mise en place, par exemple à travers la figure du D.J. considéré comme
un auditeur par excellence ; il faut désormais prendre acte de
l’introduction et de la diffusion rapides des N.T.I.C. ces dernières
années. Celles-ci obligent en effet à repenser nos cadres d’appréhension
de la musique, de ce qui compte pour une expérience musicale. Pour ne
prendre qu’un exemple : quelles sont les conséquences pour les concerts
que des spectateurs fassent entendre par mobile interposé tout ou partie
d’un concert, à un interlocuteur-auditeur ? Assurément, de tels usages
des NTIC contribuent à redistribuer les rôles : avec le dernier exemple,
on comprend qu’il n’y a plus seulement, et classiquement, des
spectateurs et des artistes (et personnels de renfort, programmateurs,
etc.) à un concert, mais également des « auditeurs ». Appliqué aux
situations de mobilité urbaine, et aux objets qui permettent d’y
réaliser une expérience musicale (naguère walkman, désormais ipod et
autres baladeurs mp3, et de plus en plus le téléphone portable) : un
premier ensemble de questions porte sur les formes de sociabilité que ce
type d’écoute musicale permet ou empêche. Au-delà des parcours que
réalisent les fichiers numériques d’un appareil à l’autre, c’est la
possibilité ouverte d’écouter à plusieurs (doubles oreillettes ; ou
chacun une oreillette ; ou écoute à partir de la fonction
haut-parleur) : de réaliser localement une sociabilité limitée, et
construite sans voire contre les autres agents sociaux présents à la
situation. Un second ensemble de questions concerne les liens
réciproques entre musique et mobilité (espace). Qu’est-ce que cela fait
à l’écoute musicale d’être accomplie dans une phase de mobilité
urbaine ? En retour : qu’est-ce que cela fait à l’espace d’être parcouru
par des agents qui écoutent de la musique ?
Situations
C’est ce
deuxième ensemble de question que je compte aborder plus
particulièrement lors de cette communication, en présentant quelques
situations où se distinguent les effets de l’espace sur la musique et
ceux de la musique sur l’espace, à partir de données recueillies selon
deux modalités. Tout d’abord, le suivi ethnographique d’usagers le long
de leur écoute musicale mobile ; et pendant ce suivi, j’ai procédé avec
eux régulièrement à des moments d’explicitation et de commentaires sur
leurs trajets et actions, selon la méthode des parcours commentés (je
renvoie à ce propos aux travaux de Jean-Paul Thibaud). L’exposé de cette
solution méthodologique pour aborder l’écoute au casque et aux
oreillettes, à travers quelques descriptions situées, montrera les
multiples voies et questions ouvertes par de telles préoccupations sur
l’expérience musicale en situation de mobilité.
14 PENDANX marie
Territoires musicaux et inspirations hispaniques :
bandas du Sud-Ouest et peñas musicales du Sud-Est
Mes travaux de recherche à
propos du phénomène banda (dans les Landes) m’ont amené à m’intéresser à
la manière dont ces groupes de musiciens mobiles qui animent les fêtes
en s’inspirant de la culture espagnole représentent des lieux et des
territoires. En tant que groupes de pratiques culturelles, les bandas se
sont constituées à partir d’héritages de traditions locales et extra
frontalières. Sur un fond initial constitué de traditions festives,
taurines et musicales se sont greffés d’autres éléments essentiels venus
principalement d’Espagne (feria, San Fermin, peñas et txarangas de
Pampelune). J’ai pu ainsi mesurer combien la musique, associée à un
territoire, peut contribuer au développement d’idéologies et
d’imaginaires territoriaux. L’Espagne constitue effectivement le modèle
dont toute fête méridionale s’inspire mais ces éléments importés sont re-signifiés
dans un contexte local. Cette attractivité du modèle espagnol se
retrouve d’ailleurs dans tout le Sud de la Espagne à travers la feria
notamment. Pour autant, les emprunts d’éléments à la tradition
hispanique sont différents entre le Sud-Ouest et le Sud-Est de la
Espagne. Cette tradition festive est continuellement revisitée et des
adaptations aux réalités locales sont observables tant en tauromachie
que dans les pratiques musicales. Dans le Sud-Ouest, les bandas
témoignent de l’utilisation de musiques vivantes espagnoles, elles se
distinguent des harmonies (orchestres composés uniquement d’instruments
à vent et de percussions) par leurs activités, leur tenue et leur
répertoire d’inspiration basco-navarraise. Dans le Sud-Est, l’emprunt à
la tradition hispanique est différent, il se nourrit d’une Espagne
andalouse. Aussi la distinction banda / harmonie caractéristique du
Sud-Ouest de la Espagne ne se retrouve pas dans le Sud-Est où l’on
distingue les peñas (musicales) et les fanfares. Une peña, en tant que
formation musicale du Sud-Est, est un groupe de 15-20 musiciens
confirmés, rémunérés qui peuvent défiler tout en jouant et dont la base
du répertoire est la musique taurine. Ces peñas musicales se produisent
dans le milieu de la corrida ainsi que pour la bouvine et autres fêtes
votives. A l’inverse, la fanfare est un groupe de 15-20 musiciens
amateurs, avec un répertoire différent, relevant plus de la variété
internationale, et qui ne se déplacent pas en jouant. Ces groupes de
musiciens se caractérisent par un aspect tradition et un aspect mode
d’inspiration. D’une part, les bandas s’inscrivent dans toute une
culture locale centrée sur la tauromachie et la feria. D’autre part, ces
groupes locaux s’inspirent de l’Espagne et profitent des effets de
proximité du Pays Basque. De même, les peñas musicales du Sud-Est se
caractérisent par une inspiration espagnole mais à caractère
méditerranéen. La musique participe ainsi à la construction de
territoires. Un dépassement de la localité s’opère par les inspirations
de la fête, par les influences culturelles extérieures notamment
hispaniques mais cette ouverture se réalise dans un contexte
particulier, la musique s’insérant dans des réalités locales.
15. ROUGIER Thierry
Docteur en anthropologie
Professeur certifié de musique
IUT Michel de Montaigne, Université de Bordeaux 3
Les chansonniers improvisateurs du Nordeste
brésilien : une parole en mouvement pour une société en voie de
transition
Une recherche initiée il y
a une quinzaine d’années sur les musiques populaires et les littératures
orales au Brésil m’a conduit étudier les chansonniers improvisateurs du
Nordeste. Les enquêtes sur ces poètes porteurs d’une tradition
singulière, menées entre 1998 et 2002, ont donné lieu à une thèse de
doctorat en ethnologie – sous la direction de M. Sory Camara, thèse
soutenue en mars 2006 à l’Université de Bordeaux 2 – puis à la
publication des enregistrements réalisés sur le terrain (C.D. « Repentistas
nordestinos, troubadours actuels du Nordeste du Brésil », en
collaboration avec Daniel Loddo, CORDAE 2006).La cantoria est une
tradition orale particulière au Nordeste du Brésil. Des poètes chantent
devant un auditoire de passionnés de poésie en s’accompagnant sur leurs
violas, sortes de guitares à cordes métalliques. Ce qu’ils disent dans
leurs poèmes, toujours produits à deux auteurs dans l’alternance des
strophes, est entièrement improvisé. Ils sont à ce titre repentistas,
maîtres du repente (en portugais, de repente veut dire soudain,
survenant tout à coup). Les auditeurs jouent un rôle actif dans une
session de poésie improvisée en proposant des thèmes à développer et des
refrains versifiés aux poètes. Ceux-ci doivent maîtriser de nombreuses
formes poétiques complexes en évolution constante, tout en montrant une
bonne connaissance des sujets généraux et des questions d’actualité,
ainsi qu’un esprit de répartie qui ne peut être pris en défaut, du fait
de l’émulation qui caractérise ces rencontres. Il existe des milliers de
cantadores dans le Nordeste, vivant de leur art populaire parmi leurs
concitoyens. Le cantador, d’après le sens qu’a ce terme en portugais,
est à la fois un chanteur populaire et un chansonnier. En effet, son
esprit critique inspire ses propos souvent satiriques ; ses poèmes
improvisés commentent les mutations de la société et dénoncent les abus
du pouvoir ; ses performances orales s’accomplissent au gré de ses
déplacements constants, dans des contextes variés. À plusieurs titres,
le cas des cantadores peut intéresser les problématiques posées lors de
la journée « Géographie – Musiques ». Tout d’abord, la mobilité des
chansonniers, en déplacement constant à la rencontre d’un public
toujours différent, est liée aux particularités territoriales et
démographiques du Nordeste : émigrations et exodes sont récurrents, dans
un contexte de sécheresses périodiques, de violence sociale, et plus
récemment d’urbanisation effrénée. Cette mobilité remarquable est aussi
celle de leur esprit d’improvisateurs, structuré par la faculté
d’adaptation, le sens de la répartie et la verve critique. Définissant
un espace culturel qui s’étend bien au-delà du territoire originel (le
sertão semi-désertique, berceau de la tradition), jusqu’aux mégapoles du
sud du pays où les Nordestins émigrent en masse, la parole des
chansonniers est un « géo-indicateur » des mobilités sociales. Ensuite,
il apparaît que les espaces de productions de la poésie improvisée sont
produits par les poètes eux-mêmes et par les plus dévoués de leurs
admirateurs, en général sans aucun soutien des politiques – les
autorités et les médias dominants (les télévisions) se méfient de la
parole satirique de ces chansonniers incontrôlables. Cette co-production
par les artistes et les usagers est caractéristique d’une culture
populaire, elle se traduit par la « conquête » de nouveaux
espaces d’expression : radios, studios d’enregistrements, festivals et
congrès qui sont des concours d’improvisateurs. Les chansonniers actuels
(dont le niveau scolaire et social s’élève, dont le nombre croît et dont
la profession se développe) montrent une dynamique qui en l’occurrence
ne doit rien aux politiques publiques.Enfin, d’un point de vue
psychologique, les cantadores sont pour leurs auditeurs les catalyseurs
d’une identité mouvante, dont la construction est problématique dans une
société en voie de transition. Ils représentent un modèle transitoire,
du fait du caractère continuellement renouvelé des poèmes qu’ils
chantent, où le seul élément constant est la musique monotone des violas
qui soutiennent l’inspiration. Ces maîtres de l’improvisation montrent
dans leur art que leur modèle est le changement, proposant une
identification à une tradition séculaire mais en constante évolution,
cristallisant un imaginaire territorial en perpétuelle redéfinition.
16 Rouzé Vincent
Docteur en Sciences de
l’Information et de la Communication,
Chercheur associé au CEMTI
(Université Paris 8, France) et à la MSH Paris Nord
A l’écoute de ces ambiances sonores fondatrices de
territoires sonores éphémères
Dans le cadre de cette
communication, je propose de m’appuyer sur un parcours urbain quotidien
(Paris) pour questionner les notions de territoire, d’espace et de
lieu. L’enjeu est de comprendre comment la musique (jouée ou diffusée
au quotidien) et plus globalement les ambiances sonores participent de
la création de territoires sonores éphémères. Ce parcours ordinaire et
quotidien commencera par la place des fêtes (19ème Arrondissement) à
l’heure du marché le dimanche matin (comparaison avec d’autres moments
de la semaine) où se mêlent cris des vendeurs, discussions, un orgue de
barbarie. Ensuite, nous prendrons le métro jusqu’à la station République
(11ème Arrondissement) où au fond d’un couloir de correspondance entre
en résonance les pas pressés, les mélodies d’une harpiste et les bruits
machiniques des rames. Enfin, nous continuerons jusqu’à Châtelet les
Halles. En remontant vers ce vaste espace commercial, nous circulerons
dans ce labyrinthe sonore mélangeant musiques diffusées dans les
couloirs, musiques de magasins et paroles momentanées. Enfin nous
terminerons par l’esplanade devant le centre Beaubourg : croisements de
piétons (touristes, habitants), de marchands « à la sauvette », de
portraitistes, de musiciens et autres artistes de rue… Cette
ethnographie « cartographique » d’un parcours sonore quotidien vise à
illustrer des questions centrales concernant les rapports existants
entre musique et territoire. Comment les bruits participent-ils de
l’identité d’un lieu ? Comment sont-ils vécus ? Que représentent-ils ?
Ensuite, les collectivités locales, dans leur volonté de « gérer » la
pollution sonore, ne contribuent-elles pas à remodeler les espaces et
effaçant ainsi les caractéristiques « éphémères » qui les rendent
originales ? Les réflexions menées actuellement sur la pollution sonore
et sur l’identité sonore urbaine, comme celle menée à Nantes par Alain
Léobon il y a quelques années, offrent des éléments de réponses. Enfin,
on pourra se demander dans quelle mesure la diffusion de musiques dans
certains lieux publics n’est pas un signe de consensus social ? Car au
fond, cette imposition d’un flux sonore continu n’est-il pas
emblématique de cette paradoxale société de communication abhorrant le
silence et le bruit mais où on ne peut plus ne plus communiquer?
17 VAILLANT Anais
Doctorante en
anthropologie, université de Provence
Les territoires de la « batucada » :
Des quartiers brésiliens aux fêtes municipales en
France
Au Brésil, une batucada
désigne à la fois un rassemblement spontané et informel de
percussionnistes, le moment où la musique est jouée, ainsi que la
musique elle-même. Les rythmes de batucadas sont multiples mais peuvent
être regroupés dans des familles musicales a priori proprement
brésiliennes comme par exemple le samba, l’afoxé ou encore le maracatu.
Nous observons en Europe, depuis une vingtaine d’année, de nombreuses « batucadas »
dans les manifestations, festivals et fêtes publiques. Cette
communication présentera dans un premier temps trois exemples de
musiques brésiliennes territorialisées à la fois par les politiques
culturelles régionales, les Brésiliens et les touristes : le samba à Rio
de Janeiro, le samba-reggae à Salvador et le maracatu à Recife. Cette
régionalisation des musiques brésiliennes participe paradoxalement d’une
idéologie fédérale d’unité nationale en masquant quelque peu les
territoires d’origine de ces musiques « populaires », les quartiers
périphériques et défavorisés. La circulation de certaines musiques du
religieux vers le profane, de la périphérie vers le centre-ville, de la
rue vers la scène, leur donne une visibilité et une audience accrues,
hors de leurs territoires d’origine.Dans une seconde partie, nous
aborderons l’appropriation de ces musiques en Europe et l’évolution de
leur statut à travers le déplacement progressif des espaces de jeu des
batucadas notamment en France. Nous verrons comment les groupes de
percussionnistes amateurs participent volontairement ou non à une
institutionnalisation de la batucada, en s’intégrant peu à peu au
paysage culturel local, parfois au même titre que les orphéons, fanfares
et formations de musiques « traditionnelle ». Si les percussionnistes
amateurs des batucadas mettent en pratique des rythmes exotiques, c’est
principalement parce qu’ils découlent d’une tradition orale et qu’ils
sont donc transmis loin des autorités musicales institutionnelles.
Pourtant, les institutions culturelles françaises tentent de tracer des
contours formels aux pratiques culturelles « exotiques », de plus en
plus visibles et démocratisées que ce soit en milieu urbain ou rural.
Malgré l’absence actuelle de critères institutionnels d’évaluation et de
professionnalisation, les collectivités publiques n’hésitent pas à
employer des batucadas pour les fêtes patronales ou de quartier. Les
musiques brésiliennes qui nous intéressent ici traversent alors des
territoires économiquement et culturellement différents, jouées
simultanément au cœur de pratiques informelles ou institutionnalisées,
et nous interrogent sur les nouveaux territoires musicaux, réels ou
imaginés, qui se dessinent aujourd’hui.
18 ZENEIDI Djemila
Chercheure ADES-CNRS
Equipe Tempos
Punk musique populaire, territoire populaire ?
L’objectif de cette
proposition de communication est de présenter un des développements du
mouvement punk actuel, tel qu’il se déploie dans des lieux en marge. Il
donne à lire une configuration territoriale originale à l’aune de
laquelle on peut lire une reformulation de la notion de catégorie du
populaire. La notion de musique populaire est une notion très présente
dans la littérature des cultural studies. A partir de résultats issus
d’une recherche interdisciplinaire associant géographie socio-culturelle
et anthropologie. Il s’agit de discuter de sa pertinence et de voir en
quoi elle peut éclairer une construction territoriale propre à ce
mouvement musical. La problématique du punk relève à notre sens d’une
entreprise culturelle et politique basée sur une tentative de
déconstruire des territoires, d’en invalider certains, ceux de la
société dominante (mainstream society) et d’en valoriser d’autres ceux
supposés ou réels du populaire. Le premier ancrage territorial du
mouvement punk est celui des métropoles nord américaines et européennes.
Ce mouvement musical et idéologique est né au début des années 70, à
Londres, New York, Washington DC, et Détroit. On dit que les américains
inventèrent le style musical, et que les britanniques en formalisèrent
le contenu politique (O’Hara, 1999). Dès le départ, il est défini comme
un mouvement contestataire sur différents plans, artistique, social ou
politique. Les fondateurs de cette vogue se opposés au courant hippie de
Woodstock et à leur rock jugé trop lisse mais ont également amorcé la
critique à tout un système social jugé inique. Le punk a été crée et
porté principalement par une jeunesse issue du milieu ouvrier dans un
contexte de crise de l’emploi. Le mouvement existe encore dans des
réseaux invisibles à l’observateur extérieur. Dans de nombreux pays post
industriels, en Amérique du nord, et en Europe à l’Ouest comme à l’Est,
des jeunes issus pour la plupart des classes populaires se réunissent
pour faire vivre le mouvement. Trente ans plus tard, on observe une
diffusion dans des espaces appartenant à d’autres aires culturelles et
ce non sans une certaine hybridité et plasticité. Cet ancrage se réalise
toujours dans des territoires de sociétés modernes urbaines et
occidentalisées et en particulier dans des espaces en marge (rue,
squats).
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